lundi 29 février 2016

Réponse Johan






Chère Doll,

un âne !
Quelle chance.
Si seulement je pouvais te l'emprunter pour passer mes dernières semaines de prison en sa compagnie ! Si je fais une requête à la direction du pénitencier et que, par miracle, ma demande était acceptée, me prêterais-tu ton âne ? Il y aurait bien de la place pour lui à mes côtés. Enfin, bon, je rêve un peu, sans doute.
Comment l'as-tu appelé ? Il est toujours sans prénom ?

Je t'envoie de nouvelles images. Ce n'est pas le cerbère qui les a faites mais l'ami peintre dont tu a vu un livre récemment. Il vient me voir chaque semaine, il n'entre pas (c'est compliqué, le parloir, les autorisations...) donc, on se voit à travers la petite fenêtre de ma cellule, on parle un peu en faisant des signes, il prend une photo et il part. Il fait un tableau à partir de chaque photo. Un tableau par semaine de captivité. Il y aura donc 26 tableaux. Là je t'envoie les tableaux 14 à 19. Et oui ! Plus que 7 semaines de prison. Et après ?

Un âne... tu aurais peut-être une photo de lui ?
J'aime beaucoup tes derniers dessins, surtout la forêt dans la nuit. J'ai un peu la même vue, ici, quand les lumières du chantier s'éteignent le soir. C'est un beau moment de la journée, un de ces instants du quotidien que j'attends, comme un rituel. Après l'extinction, je reste debout devant la fenêtre le plus longtemps possible. C'est un jeu entre moi et ma lassitude. Je reste debout à fixer l'obscurité, un peu plus longtemps chaque soir, sans cligner des yeux. As-tu aussi des rituels ?

Je t'ai déjà parlé de mon ami Arthur ? C'est quelqu'un qui change toujours de tête. Tu le vois un jour avec des lunettes, une barbiche, des grosses joues, ressemblant à un vieux professeur de physique et le lendemain, il est glabre, la peau foncée, un peu féminin. Quand je passe une soirée avec lui, il y a toujours un moment où je ne sais plus avec qui je me trouve, et je dois faire un effort pour pouvoir me dire : « oui, bien sûr, c'est Arthur ! » Je l'admire pour ça. J'aimerais aussi pouvoir changer de tête sans cesse. Au lieu de ça, j'ai une sale barbe qui pousse et je n'arrive pas à me décider à la raser. En sortant d'ici, les gens me prendront pour un djihadiste.

« Il y a encore une chose très importante que je dois écrire, mais je l'ai oubliée. »

C'est comme ça que Henry Darger finit son autobiographie.
Pas mal, non ?

Je t'embrasse,
Johan W.

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