mercredi 30 décembre 2015

Doll (lettre 14)

Dans celle-là, j'aurais envie de mettre des couleurs. Je crois que j'aime beaucoup ta troisième lettre et d'ailleurs, je la relis encore.
Oui, j'ai eu un coup au coeur que j'ai pensé que Lauren aurait pu t'écrire mais tu me l'as dit et puis tu as dit que ce n'était pas elle alors je suis complètement rassurée. C'est vrai que j'ai paniqué parce que c'est une vraie peste qui vient encore de me téléphoner pour passer… comme si elle savait passer, juste passer, ce qu'elle ne fait pas puisqu'elle s'incruste. Heureusement qu'il n'y a pas eu de train et que j'ai eu tes deux lettres en même temps parce que sinon j'aurais été folle pendant quelques jours de penser à ça. A ça, à elle et à toi. Et à ce geste : t'écrire.
Je suis donc très contente que ce ne soit pas elle mais elle aussi aurait été capable de t'envoyer des insultes sans aucune raison. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi on écrit si c'est pour dire du mal à quelqu'un. Avec les gens en prison, on peut au moins être gentil, enfin, je veux dire qu'on n'est pas forcé d'écrire.
Merci, cher Johan, pour ce que tu dis de mes autoportraits. Je crois que j'aime bien dessiner mais je ne dessine jamais , c'est pour les enfants quand on ne sait pas, enfin quand on n'a pas de talent ou quand on ne s'en est pas aperçu avant de commencer à être vieux mais si cela te fait plaisir, alors je t'enverrai d'autres dessins parce que c'est amusant de penser à soi et à ce qui nous représente, de trouver des petits bouts à donner. Je pourrai coller sur une grande feuille des trucs comme des indices et puis te l'envoyer.
Pour le moment, je n'ai pas rangé les bouteilles d'encre. Il y en a plein la table, elle a coulé. J'ai trouvé dans un tiroir une bouteille bleue et puis une blanche. Je vais essayer de faire quelque chose.
Après le boulot, je n'ai plus envie de rien faire.
Pas voir des gens.
Pas écouter.
Pas parler.
Faire des traits avec un pinceau, c'est comme retenir les heures de la nuit avant que je dors. Des heures qui ronflent !
Je te quitte pour aujourd'hui.
Le proprio doit venir parce qu'il dit qu'il devrait avoir les clés de chez moi à cause du fuite d'eau à l'étage en-dessous. Je ne comprends pas le rapport. Je n'ai pas envie de les lui donner. Je ne l'aime pas du tout.
Aurevoir Johan,
à bientôt.
Ta Doll.

mardi 29 décembre 2015

Réponse Johan

Chère Doll,
en relisant toutes tes lettres une nouvelle fois, j'ai réalisé que je me suis trompé dans mes réponses à tes questions ; ce n'est pas ton amie Laureen qui m'a écrit, mais une danseuse que j'ai rencontrée il y a longtemps après un concert. Elle m'a écrit des choses tellement énervantes que j'en ai conclu que c'était ton amie qui laisse brûler des poulets et qui vient te déranger et te saouler à tout instant. J'ai dû faire un amalgame entre ces deux personnes. Dans ma tête, ici, les choses sont un peu confuses, excuse-moi, je sais ce qu'un manque de précision peut engendrer, surtout dans une relation épistolaire. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop.
Je voulais aussi te parler des deux auto-portraits, ils sont magnifiques ! Si tu pouvais voir ma cellule, tu saurais qu'ils trônent à la place d'honneur. Face à mon lit, je les ai mis là où le soleil vient taper en premier le matin.
Tu devrais dessiner plus, tu as un véritables talent.
Bien à toi,
Johan

Doll (lettre 13)

Pour la treizième fois que je t'écris, Johan et maintenant, je peux le faire avec ton accord puisque tu me le dis dans ta deuxième lettre. Ouf… je me demandais si… non rien du tout. Je ne me demandais rien. Je suis rassurée. Et contente que tu sois seul dans ta cellule parce que je me dis que parfois, on est moins seul complètement seul que seul à plusieurs, tous serrés.
Oui, je sais qu'on ne se connaît pas mais à force de t'écrire, je me rends compte que j'ai inventé un peu et que dans cette invention, j'ai eu l'impression de te connaître mieux et plus qu'en réalité et que donc il en était de même pour toi et que tu savais des choses me concernant. C'est tout.
Oui, c'est cela ! Naïma. C'est très joli. Je crois me souvenir que j'ai lu quelque chose sur elle mais je ne me souviens plus où, faudrait que je cherche et puis aussi sur un autre mais j'ai oublié. Enfin, ce qui importe maintenant, c'est que je ne t'oublie pas.
J'espère que je pourrai toujours t'écrire et aller à la poste.
De tous les mots dont tu me parles dans ta liste, je n'en connais aucun.  J'ai un peu cherché leur définition. Le premier  Apodysophilie, je ne suis même pas certaine de le prononcer correctement à cause de toutes les syllabes mais sa définition m'a beaucoup touchée. C'est ça que j'ai lu :
Exhibitionnisme au cours duquel le sujet non seulement dévoile son sexe, mais se dénude totalement, et ce, n'importe où. Montrer sa nudité est pour le sujet une façon de montrer qu'il existe.
C'est bizarre, non, de montrer ainsi qu'on existe ? Moi, je trouve cela étonnant parce que c'est l'inverse de notre civilisation, enfin, de sa loi en quelque sorte. Il suffit de penser à la bible. Adam Eve ne pouvaient rester tout nus alors ils sont habillés. Ils existent habillés. Est-ce que ça veut dire que nus, on existerait pas ou pas comme il faut ?
Et puis l'agalmatophilie, ça m'a vraiment étonnée aussi. Je n'avais jamais entendu ce mot.
Attirance sexuelle pour les objets de nature figurative tels que les statues, les poupées, les mannequins. Du grec agalma signifiant statue, l'agalmatophilie est également connue sous le nom de pygmalionisme.
C'est drôle. Enfin, je ne sais pas très bien expliquer ce qui me fait rire mais j'ai trouvé ça joli, un peu dingue mais joli. Je me souviens d'une fois où je suis allée dans un musée et où j'ai eu envie de toucher les statues. Des fesses je crois parce qu'elles avaient l'air vrai mais peut-être pas seulement à cause de ça. Plus vrai que vrai. Et l'on sentait la force, le muscle et j'avais l'impression qu'il y avait de la peau et que je pouvais bien toucher ou caresser puisque ce n'était pas vrai.
Comment connais-tu tous ces mots, Johan ?
Es-tu un spécialiste ?

Ici l'hiver est arrivé. Il commence à faire très froid et nous sommes tous et toutes très couverts. J'ai ressorti mon manteau d'hiver et un bonnet en laine qui protège mes oreilles. La ville dort un peu surtout après cette paralysie de quatre jours. Je te l'ai déjà dit dans l'autre lettre mais ce fut vraiment étonnant. Une impression d'état de siège et j'acxris ça sans savoir ce que c'est. Des mots ressortent. Je ne sais pas s'ils conviennent à la situation.

Dans les magasins, les files sont un peu plus longues. Je vais acheter du sucre et du lait en boite, de la farine et quelques conserves même si je n'aime pas ça mais en attendant d'y aller, je file à la poste pour que tu reçoives cela très vite.
Où en es-tu de ta collection de mots ?
Peux-tu me les envoyer ? Comme ça, j'apprendrai des mots nouveaux.
Ecris-moi encore, s'il-te-plaît.
Je t'embrasse.
Doll.

dimanche 27 décembre 2015

Réponse Johan

Doll,
aujourd'hui je vais répondre aux questions des lettre 1 à 8, je parlerai de tes auto-portraits plus tard.
mes amies me surnomment Doll, utilise ce nom si tu veux  Ok
Souvent, je pense que personne n'a besoin de luxe pour vivre, que c'est parce qu'on croit le contraire que des gens commettent des choses méchantes. Qu'en dis-tu, toi ? As-tu déjà fait des choses méchantes ou mauvaises ? » je ne vois pas le rapport entre l'envie de luxe et l'envie de méchanceté.
Qui n'a pas rêvé d'une grande maison avec un homme ou une femme et des enfants ? As-tu des enfants ? Je suis certaine que tu serais un bon père. Je rêve d'une grande maison, je cauchemarde d'être père.
Comment vas-tu ? ça va.
Comment est ta cellule ? Dois-tu la partager avec quelqu'un ? Combien êtes-vous ? Déjà répondu dans la première lettre.
Es-tu aussi à plaindre ? Il faudrait que j'en sache plus sur ton frère pour pouvoir comparer.
Si tu préfères des lettres manuscrites, dis-le moi et je m'appliquerai pour t'en écrire. J'hésite encore.
on avait parlé de tes amis. D'une fille. Je ne me souviens plus du nom. Naïma Bourquin. C'était un joli nom et je suis sûre qu'elle devait être jolie aussi.Oui. L'aimes-tu ? Je ne réponds pas à cette question.
Aimes-tu les filles qui portent des lunettes ? Je préférerais des verres de contact.
c'est bon pour la santé et pour la ligne, n'est-ce pas !? Oui, mais quand il y en a trop dans les boucheries, ça pue la mort.
Si elle t'écrivait, pourrais-tu me promettre de me le dire ? Elle m'a écrit.
Quelle pointure fais-tu ? 46
Comment les aimes-tu ? J'aimerais une paire de chaussures très chère, il paraît que les premières choses que l'on regarde chez quelqu'un, c'est la montre et les chaussures. J'ai toujours eu des chaussures pourries.
Il y a un mois tu m'aurais demandé ce que je voulais faire, je t'aurais peut-être dit que j'aimerais avoir ma propre boutique. Je l'avais déjà complètement imaginée mais aujourd'hui, je n'en suis plus certaine. Ma mère me disait tout le temps : Ma fille, tu ne sais pas ce que tu veux ! », que j'étais trop rêveuse pour avoir quoi que ce soit. Pourtant, je t'assure que je ne souhaite pas du compliqué et puis ce n'est pas avoir que je veux mais être, de l'être, de l'âme, de l'esprit ! De l'enchantement ! Du simple. Que penses-tu de cela, toi Johan ? Je ne sais pas, je ne te connaissais pas il y a un mois.
…pièce toute noire ! Comment est-elle ? Est-ce vrai que les murs sont plein de graffitis, qu'il y a des bâtonnets sur les murs pour compter les jours ? La cellule était neuve, mais je l'ai graffitée, j'ai dessiné des fantasmes sexuels en suivant l'ordre alphabétique. Apodysophilie, agalmatophilie, biastophilie, clysterophilie, dacryphilie, j'aurai juste le temps et la place d'en dessiner 26.
Comment vas-tu ? Là ça va mieux.
J'ai changé la police de caractère, c'est déjà mieux, non ?Oui
J'ai hâte de voir ton écriture. Ça doit être celle d'un artiste car tu es un artiste, n'est-ce pas ?
Maintenant tu as vu mon écriture.

j'ai vu du métro aérien un arbre que je ne connais pas. Très bizarre c'est comme s'il avait poussé pendant la nuit. Il n'était pas très grand, avait un tronc gris. L'ai-je vu parce qu'il n'avait presque plus de feuilles ? Charme, érable, pin, platane, aulne, cornouiller, genêt, liquidambar, orme, viorne, saule, tilleul ? Précise !
Vois-tu quelque chose de là où tu te trouves ? Y a-t-il des arbres ? J'ai une fenêtre de 60/40 centimètres avec du verre blindé. Il y a un chantier à côté, je crois qu'ils construisent un musée. Les arbres sont pourris, on dirait de la mousse ou de la ouate trempée dans de la gouache verte.
As-tu le droit de sortir un peu ? Non.
Veux-tu que je t'envoie des cartes postales ?
Oui.
Un jour j'ai fait une collection. A chaque fois que j'allais quelque part, plutôt que de faire des photos, j'en achetais pour envoyer et puis je ne les envoyais pas. Je regarderai si tu veux, ce sera ta manière de voir le monde. Et moi ma manière de te l'apporter. Qu'en dis-tu ?
Oui s'il-te-plaît.

j'aime les fleurs et que j'apprécie au plus haut point qu'on m'en offre.  Et qui d'autre que toi pourrait m'en offrir ? Quelqu'un de ta famille, ou des voisins.
Et puis, t'as vu, j'ai trouvé cette police de caractère, je la trouve jolie. Et toi ? Non, la première était la meilleure.
Toi tu me donnes l'impression d'avoir beaucoup voyagé. Est-ce que je me trompe ?Beaucoup voyagé, oui.
Suis peut-être un peu folle mais je me demande si on n'aurait pas tous un héros qui dort en nous et qui serait capable de se réveiller ? Je répondrai à cette question une autre fois, si j'y pense.
Et si tu t'étais battu et que tu ne pouvais pas m'écrire ? Es-tu à l'infirmerie ?Je vais bien, merci.
Dans la prochaine lettre, c'est moi qui poserai des questions.
Je dois aller dessiner un extraterrestre (lettre E)
Tu peux continuer à m'écrire, et dis-moi combien de fois tu es allée à la boite postale.
Merci
Johan
P.S: Doll, tu as l'air gentille

samedi 26 décembre 2015

Doll (lettre 12)

En attendant de recevoir une lettre de toi. Seule au magasin. Le patron est passé en coup de vent avec le regard bizarre. J'ai l'impression qu'il soupçonne quelque chose. Il est allé cinq fois dans la réserve et en est ressorti aussitôt avec un carnet sur lequel j'ai vu des chiffres. Bizarre.
Temps splendide. Ciel bleu.
Depuis ce matin, il y a eu 7 clientes plutôt sympa. Une fille qui cherchait des sandales. Evidemment il n'y en avait pas. Ce n'est plus la saison. On a rigolé ensemble. Elle a acheté une paire de sabots rouges qu'elle portera sans chaussette. Pas mal.
Sandwich au roast-beef avec de la moutarde et des cornichons. Miam.

Seule encore. Deux dames entre 14 et 16 heures. Elles savaient ce qu'elles voulaient. La vente a duré 6 minutes. Précisément.
Je t'écris avec ce crayon de papier, je n'ai que cela. Je recopierai ensuite. Quelle maladroite je fais. Incapable d'écrire pas même sur une ligne.
Envie d'aller me promener dans un jardin et de donner à manger aux oiseaux. Reste de pain et de moutarde. Encore 3 heures à attendre. Rien à lire. Pas d'internet. Je m'ennuie.
 …
Rentrée à la maison très tard (il est presque minuit). J'ai marché dans la ville en regardant les boutiques. Je n'ai jamais le temps de les voir ouvertes. Je les regarde fermées. Je pars il fait nuit, quand je rentre aussi. L'hiver se pointe mais il y a encore un peu de bleu dans le ciel. Rien que de la lumière quelques heures. J'aimerai en profiter.
Demain, ça va être le rush. Je t'ai déjà dit que le samedi était le jour le pire ? Toute la journée. A croire qu'il y en a qui dorment devant. J'appréhende un peu. Je n'aime pas trop la foule quand je dois la servir. Sinon, je m'en moque. Je vais aller me coucher. Souhaite-moi « bonne nuit » ! Je ne sais pas pourquoi mes rêves deviennent bizarres (enfin encore un peu plus).
Et toi, dors-tu correctement ?

Une tasse de café à la main, vite t'écrire. Samedi. J'ai enfilé une jupe ample, tu sais ?, je suis certaine que je vais avoir une remarque. Le patron préfère les jupes droites. Il n'a peut-être pas encore compris qu'on doit se baisser et se lever 1000 fois par jour. On verra bien. Les deux apprenties seront là. Avec une, ça va. Avec l'autre, elle m'énerve. Elle minaude un peu trop pour moi mais elle est quand même gentille. J'espère que j'aurais quand même le temps de manger mes tartines. J'ai préparé une sorte de salade de surimi avec des la mayonnaise. C'est bon !

Voilà… excuse-moi Johan,
j'ai été malade. Un truc sur la ville. Je ne sais pas quoi. Tout à coup il y a eu du silence, que du silence et puis des bruits de sirènes et des hélicoptères. On nous a dit des rester chez nous. J'ai trouvé cela absurde. Ca fait peur. On ne sait pas ce qui arrive mais ce qui est arrivé, c'est que je n'ai pas pu aller à la poste comme je le fais normalement tous les jours. C'est idiot. J'étais fâchée. Pas aller à la poste parce que pas de train. Rien du tout et à pieds c'est trop loin. Il n'y avait même pas de voiture pour aller en stop. Et puis de toutes façons, tu sais, aucune voiture ne m'aurait prise. On a peur de tout. 4 jours à rester sans bouger. Alors j'ai lu un peu.

Mais enfin ! La ville continue. On continue. Prétextant un nouveau malaise, je ne suis pas allée au magasin. Il y a le train qui démarre. J'ai tes deux lettres !
Je rentre, je t'écris mais avant je poste ça, c'est décousu, je ne réponds pas à tes questions.
Mais on continue.
A plus tard Johan,
je t'embrasse.
Doll.

vendredi 25 décembre 2015

Doll (lettre 11)

Onzième lettre.
C'est maintenant le soir, Johan, ou l'après-midi. Il fait déjà nuit et je ne sais pas quelle heure il est. Mon ordinateur est déglingué, il est marqué 1 heure mais je sais que c'est pas vrai ou alors suis tombée dans une autre dimension. Je n'ai pas sommeil du tout. Par la fenêtre, j'ai regardé. Presque personne, pas beaucoup de voitures. Ma montre s'est arrêtée. Mon téléphone a disparu, doit être quelque part dans mon lit. Me sens un peu bizarre. Et toi ?
J'ai fait un truc. Faudra que tu sois gentil. C'est moche. Ça m'a pris des heures, enfin je n'en sais rien, c'était drôle à faire, non pas si drôle, j'avais l'impression d'être à l'école, une petite fille. J'ai dessiné. Non, j'ai pas dessiné, j'ai peint avec de vieilles peintures que j'ai trouvées dans un tiroir.  C'est peut-être moins bien que les néocolors. C'est tout ce que j'avais et puis un vieux pinceau sec que j'ai fait tremper dans l'eau.
Peint les yeux fermés pour voir, comme ça je me suis dit que ça allait être moi et pas moi. Tu vois ?Moi et pas moi, c'est l'autoportrait !
Allez, je te montre mais promets d'être gentil !
C'est peut-être parce que j'étais fatiguée. Comme dans un autre état. J'arrêtais pas d'éternuer avant mais maintenant c'est comme si mon rhume était passé tout seul. Grâce à toi, je suis guérie !
C'est cool.
Demain, j'irai au magasin avant tout le monde et sur le chemin, je posterai cette grosse enveloppe. Je mettrai plein de timbres pour que ça t'arrive vite. D'accord ?
Dans ta lettre, tu m'as dit que tu voyais quelqu'un, c'est qui ?
Est-ce que me lettres sont lues avant qu'on te les donne ? Est-ce qu'on lit les tiennes ?
A la télé, dans une série, j'ai vu que tout le courrier était lu mais je ne sais pas si c'est vrai…
Si oui, faudrait faire comme les agents spéciaux, parler en code (mais non, je plaisante!)
Sois indulgent, por favor.
Bisous,
Doll

jeudi 24 décembre 2015

Doll (lettre 10)

Très cher Johan, J'ai réfléchi toute la nuit. Toute la nuit. Incapable de dormir. Toute la nuit jusqu'à au moins 6 heures et si je n'ai pas dormi c'est que… c'est quoi un autoportait ? Est-ce comme un selfie mais sans appareil photo ? Est-ce la manière dont je me vois ? Est-ce la manière dont je crois que les autres me voient ? Est-ce comment j'aimerais être vue ? Ou comme je suis en réalité vue (mais ça je n'en sais rien) ? Est-ce des choses qui me représentent ? Est-ce te donner des mots qui donneraient de moi une définition  (combien t'en faudrait-il) ? Est-ce que ce serait comme un collage avec des trucs que j'aime (genre des fleurs, tout ça…)  ou que je voudrais avoir ? Est-ce te dire comment je me sens à l'intérieur, dans mon coeur (mais alors avec quoi te le montrer) ? Des paysages ? Des cartes postales ? Des photos ?
Pfff…
Je ne sais pas.
C ‘est un jour férié ici, je ne sais pour quelle raison. Les magasins sont fermés, les postes aussi. Tout est gris et je suis fatiguée de ne pas avoir dormi sauf quelques heures ce matin mais c'est peu. J'ai une drôle de tête, des cernes au milieu des joues et puis le nez tout rouge, j'ai dû prendre froid. Heureusement que tu ne me vois pas…
Et puis envie de rien faire.
Ni de prendre une douche ni de sortir.
Ni de manger. Vais encore me préparer du café et puis ça ira bien.
J'ai encore un morceau de pain et puis un peu de beurre.
C'est quoi un autoportrait ? Je te jure que je cherche ! ça me tracasse.

Peut-être que c'est une énigme et que je n'ai pas la solution.

Peut-être que c'est du mystère.
Je vais essayer. Parce que tu me le demandes. Je reviendrai plus tard. Et avec ce jour où rien ne marche, je ne peux pas poster la lettre aujourd'hui.
Vivement demain.
J'irai voir si tu m'as écrit.
Bisous fatigués,
Doll.

mercredi 23 décembre 2015

Doll (lettre 9)

Mon cher Johan,
Quelle BELLE JOURNEE…
merci pour ta belle lettre ! Je n'ai jamais perdu espoir que tu me répondes. D'ailleurs, j'en étais si certaine que je ne suis pas allée au magasin aujourd'hui. Les chaussures peuvent attendre et mon patron peut bien crier ou me virer : j'ai une lettre ! Je suis tellement contente ! Tout a l'air de bien aller pour toi dans ta chambre où tu habites seul. J'avais tellement peur que tu te retrouves parmi les plus méchants d'entre nous que je n'avais pas pensé à ça. Une pièce rien que pour toi et oui, tu as bien raison de vouloir la décorer. C'est important de se sentir bien quel que soit le lieu où l'on se trouve. Je ne connais pas Tchan-Zâca et je ne sais même pas si j'arrive à dire ce mot. Je vais m'y entraîner puisque c'est là que tu es. Tchan-Zâca. C'est mystérieux. On dirait le nom d'une île en mer de Chine.
Je crois que nos regards se sont croisé à ton procès mais je n'ai rien de reconnaissable ; je suis plutôt le genre de filles qu'on ne voit pas et puis j'étais loin, sur le deuxième banc à droite, il y avait une tête devant moi, un homme avec une grosse touffe de cheveux. Si tu te souviens de ces cheveux, eh bien j'étais juste derrière. Ah et puis oui… j'avais une angine et je toussais. L'avocat a même dû s'interrompre à un moment. J'étais désolée de faire du bruit.
Donc ta lettre ! Je l'ai lue et relue dans le train, j'ai même failli manquer l'arrêt. Et puis je l'ai lue dans le métro et puis encore à la maison. C'est joli d'écrire en rouge.
T'inquiète, je ne vais pas t'envoyer de photo de moi… parfois, il vaut mieux rester dans le phantasme comme tu dis même si à certains moments c'est bien de savoir à qui on a à faire. Mais je ferai ce que tu demandes, bien sûr. Pas de photo, donc pas de photo.
C'est quoi des néocolors ? Je ne connais pas. Chez moi j'ai de l'encre que j'ai achetée pour essayer de t'écrire à la plume parce que la vendeuse m'a dit que c'était un moyen d'être lisible. Je vais d'ailleurs essayer tout à l'heure et je t'enverrai quelque chose. S'il me faut des néocolors, j'en trouverai sûrement…
J'aimerai que tu me parles de toi et de tes projets de listes.  Qu'est-ce que tu vas faire ? As-tu besoin de quelque chose ?
Merci de m'avoir répondue, Johan. C'est gentil.
Doll
Ah oui, tu trouveras quelque chose de moi dans cette lettre… j'espère que ça te fera rire.

mardi 22 décembre 2015

Réponse Johan


Doll,
merci pour tes tes sept lettres, elles ont été ouvertes par le gardien et livrées sans enveloppes, ça m'a manqué les enveloppes. Je te réponds sur ce papier bleu, du papier par avion c'est tout ce qu'ils ont bien voulu me donner, du papier ultra léger, pour réduire les coûts d'envoi, et un bic rouge. J'espère que tu arriveras à lire mon écriture. Je ne sais pas si je t'ai vue au procès, mais je suis content de recevoir du courrier d'une inconnue, ça me donne l'impression d'exister.
Tu n'as pas besoin de savoir si j'ai vraiment mérité ces 26 semaines de réclusions, tout ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit d'une machination. Peu importe.
Dans ta lettre N°2 tu parles de faire des sandwichs parce que la vie est trop chère, mais dans la N°1 tu achètes un thon crudité quelque part, ça me parle… je suis seul dans ma cellule, j'ai même l'impression d'être seul dans tout l'établissement, je ne vois qu'un seul gardien. C'est un pénitencier assez neuf dans une ville peu fréquentée ; Tchan-Zâca, tu connais ?
Un ami passe chaque semaine devant la petite fenêtre de ma cellule. On ne peut pas se parler mais on communique autrement, je t'expliquerai peut-être.
J'aimerais savoir si nos regards se sont croisés au procès. A quoi tu ressembles ? Surtout, ne m'envoie pas de photo ? Ici, je ne vis que dans les phantasmes, ils sont précieux, je les dessine sur les murs. J'aimerais beaucoup que tu m'envoies un dessin qui te représente, un auto-portrait. Tu aimes les néocolors ?
Je vis dans mes souvenirs, je me remémore des listes, je les notes sur les murs. J'aime collectionner. Un espace vide, un lit, un oreiller, un duvet, deux linges de bains c'est le cauchemar d'un collectionneur… alors, tes sept lettres à sept  jours d'intervalle, c'est un début de collection, un nouvel espoir.
Merci.
Johan W.

lundi 21 décembre 2015

Doll (lettre 8)

Mon très cher Johan,
quelque chose a changé ce lundi, j'attends tes lettres. C'est mon jour de congé. J'ai pris le train pour aller à la poste avec cette petite clé attachée à mon trousseau entre les clés du magasin et de l'appartement. Elle fonctionne, nous n'avons aucune inquiétude à avoir. La postière a été contente de me revoir bien qu'étonnée que je sois déjà là, à l'ouverture de la poste alors que ma boite ne pouvait qu'être vide. J'ai prétexté avoir envie de profiter de mon congé pour voir du pays. Je suis vraiment contente d'avoir cette boite qui peut contenir au moins 1000 lettres ! Une de toi fera de moi la plus heureuse du monde. Souviens-toi que c'est notre secret. Je ne parlerai de ma boite à personne d'autre même si personne ne m'écrit, aucun autre homme en tout cas quoiqu'il arrive et arrivera. Elle est un peu à nous.
J'en ai profité pour regarder le village. En 10 minutes, j'en avais fait le tour. Il est mignon. Il n'y a que de toutes petites maisons basses d’ un étage au plus, construites avec des pierres de la région ou du préfabriqué. A la sortie, il y a une sorte de campement avec des caravanes. Je n'ai pas osé trop m'approcher. J'y ai vu des gens qui étaient installés sur des chaises et qui écoutaient de la musique. J'ai aussi voulu aller dans un champs mais j'ai eu peur que les barbelés déchirent ma robe. Je suis restée sur le bord de la route et puis je suis retournée à la gare. Je ne suis jamais allée très loin. Toi tu me donnes l'impression d'avoir beaucoup voyagé. Est-ce que je me trompe ? En tout cas, j'ai tout de suite eu cette impression que tu connaissais plein de choses et que tu en avais vu plein, que tu avais eu plein d'expériences, rencontré plein de gens.  C'est intimidant pour moi.
En ce moment, je regarde beaucoup de séries le soir. J'aime bien celles où il y a des super-héros… j'aime les héros qui se battent. C'est drôle. Suis peut-être un peu folle mais je me demande si on n'aurait pas tous un héros qui dort en nous et qui serait capable de se réveiller ? C'est en tout cas l'idée que j'ai eue avant de m'endormir que tu étais peut-être un héros.
Me demande comment tu vas. Je me soucie. Tant d'idées circulent sur la prison. Et si tu t'étais battu et que tu ne pouvais pas m'écrire ? Es-tu à l'infirmerie ?
Plus que quelques jours peut-être avant de recevoir une lettre, je me raisonne ainsi.
Je t'embrasse,
Doll.

dimanche 20 décembre 2015

Doll (lettre 7)

Cher Johan, Parce que je ne peux plus supporter n'avoir aucune nouvelle de toi, j'ai simulé un malaise au magasin vers 12 heures pour partir plus tôt. Ça a parfaitement fonctionné et d'ailleurs le patron qui vient d'embaucher deux apprenties était presque content que je m'en aille. Comme je te l'avait dit, (oui, non ?) je suis allée à la poste du centre  pour ouvrir une BP pour toi mais malheureusement, j'ai appris que ce n'était plus possible pour les « particuliers ». Très découragée, j'avais les larmes aux yeux, le guichetier m'a dit qu'il restait encore des villages où c'était possible pour tout le monde. Seulement, je ne savais pas où étaient les villages alors il m'a aidé et on en a trouvé un  à une demi-heure d'ici ! J'ai couru à la gare, j'ai pris le train et j'ai trouvé une petite poste où une dame toute mimi et hospitalière m'a fait remplir des tas de papiers pour enfin me donner une clé !
Tu peux donc m'écrire à :
Dolorès
BP 7
04600 Rosemary-les-Ours
Oh oui Johan, écris-moi s'il-te-plaît ! Ecris-moi !

Quelle journée ! Me voilà maintenant à la maison. Je viens de prendre une douche et j'ai mis un vieux pyjama. Je vais regarder un peu la télé et dodo !
Je t'embrasse,
Doll.

vendredi 18 décembre 2015

Doll (lettre 6)

Mon très cher ami,
Grâce au ciel, Lauren n'a pas de cervelle.
Car j'avais bien compris qu'elle voulait t'écrire et maintenant, depuis ce soir, j'en suis sûre. Sûre et certaine. Suis vraiment en colère. Que ma meilleure amie me fasse ça, c'est… dégoûtant. Vers 20h30, imagine-toi qu'elle a débarqué mine de rien sans que je l'invite, avec une bouteille de vin et une tarte à la banane, toute contente, joyeuse. Elle a ouvert la bouteille, m'a servi un grand verre et a commencé à parler, parler, parler, parler de tout et de rien, d'elle surtout, de ses nouvelles fringues et de son téléphone et d'un vase qu'elle avait achetés. Un vase bleu. Je t'avoue que je n'ai pas tout de suite compris. Bon… toujours en buvant et la bouteille vidée au ¾, elle m'a montré sa nouvelle jupe et puis un nouveau soutien-gorge pas mal, c'est vrai. La tête me tournait, pas à cause pas du vin (il m'en faudrait bien plus) mais de sa voix(tu sais ces voix super aiguës).  Et hop elle en revenait toujours à ce vase tout en se moquant de moi parce que je ne rentrais pas dans sa jupe alors qu'elle s'empiffrait de tarte. Et puis elle m'a demandé : comment vont tes amours, il s'appelle comment déjà? Et là j'ai compris.
La garce. Lauren veut t'écrire, te détourner de moi. J'en suis certaine. Comme elle a cerveau de poisson rouge, elle ne se souvient plus de ton nom de famille et elle a fait tout ça pour ça. La jupe, le soutien-gorge et le vase et cette question en cerise sur le gâteau. La jupe pour me casser le moral, le soutien-gorge parce qu'elle n'en a pas besoin avec sa poitrine toute ferme et haute qu'elle porte quand même. Et le vase. Ce vase bleu parce qu'elle sait que j'aime les fleurs et que j'apprécie au plus haut point qu'on m'en offre.  Et qui d'autre que toi pourrait m'en offrir ? C'est vraiment immonde de sa part. Suis furieuse.
Évidemment j'ai rien répondu. J'ai rien dit et elle peut toujours courir pour que je lui donne ton nom. Je lui donnerai jamais. Jamais ! Après elle est partie en remballant toutes ses affaires mais en laissant la tarte. J'en ai mangé une part et puis j'ai mis le reste à la poubelle. Faudrait pas non plus que je prenne 3 kilos.
Voilà de quoi ma soirée a été faite, Johan, par la trahison de ma meilleure amie… mais ce n'est pas si grave. Ça m'a permis de comprendre que je tenais à toi. C'est vrai.
Bisous,
Doll.
PS : je sais que je ne t'ai toujours pas donné mon adresse. Je le ferai maintenant très bientôt. Et puis, t'as vu, j'ai trouvé cette police de caractère, je la trouve jolie. Et toi ?
Bisous bis.
D.

jeudi 17 décembre 2015

Doll (lettre 5)

Mon cher Johan, C'est très impersonnel toutes ces lettres écrites sur l'ordinateur, c'est même horrible, j'ai l'impression d'être une secrétaire. Malheureusement, j'ai vraiment une écriture illisible mais je ferai bien cet effort pour toi d'écrire à la main si tu me le demandais. Et puis, ce papier… moche. Moche. C'est tout blanc. On dirait que j'écris à une administration alors que j'écris à un cher ami. Du noir sur du blanc. J'ai changé la police de caractère, c'est déjà mieux, non ? J'ai hâte de voir ton écriture. Ça doit être celle d'un artiste car tu es un artiste, n'est-ce pas ? Je crois que les artistes écrivent bien parce qu'ils ont affaire au beau et savent le reconnaître même caché. En venant au magasin tout à l'heure, il était vraiment très tôt, peu de monde dans la rame, j'ai vu du métro aérien un arbre que je ne connais pas. Très bizarre c'est comme s'il avait poussé pendant la nuit. Il n'était pas très grand, avait un tronc gris. L'ai-je vu parce qu'il n'avait presque plus de feuilles ? No idea.
Vendredi.
Ça va être terrible au magasin surtout à partir de midi. Le week-end commence. Je vais passer ma journée accroupie, dans l'espoir de clientes satisfaites. Je m'en fous complètement. Non, ce n'est pas vrai. J'aime mon travail. N'en parlons pas. Je lève le rideau dans exactement 20 minutes. Tout est près, j'ai passé l'aspirateur.
Vois-tu quelque chose de là où tu te trouves ? Y a-t-il des arbres ? As-tu le droit de sortir un peu ? Veux-tu que je t'envoie des cartes postales ? Un jour j'ai fait une collection. A chaque fois que j'allais quelque part, plutôt que de faire des photos, j'en achetais pour envoyer et puis je ne les envoyais pas. Je regarderai si tu veux, ce sera ta manière de voir le monde. Et moi ma manière de te l'apporter. Qu'en dis-tu ?
Bon, faut que je te quitte. Je t'envoie ça tout de suite avant d'ouvrir.
Je t'embrasse, bon week-end.
Doll.

mercredi 16 décembre 2015

Doll (lettre 4)

Mon cher Johan, C'est dingue  comme une journée passe vite. Il y a eu un monde fou au magasin toute la journée, c'est souvent comme ça quand on change de saisons. Tout à coup tout le monde se précipite. J'ai dû au moins sortir et remballer 300 paires de bottes, sans parler de bottines et des chaussures plus traditionnelles. Pour les bottes, c'est usant, elles ne vont jamais à personne. C'est le problème des trucs standards, ça ne va jamais vraiment à quelqu'un à moins d'être taillé selon une norme unique. Pour les bottes, c'est carrément visible : soit le mollet est trop gros, trop maigre, soit la cheville est  trop fine ou trop épaisse, le coup de pied trop accentué, le pied trop large ou pas assez… Ça n'empêche pas de vendre mais je vois bien que toutes ces femmes repartent pas satisfaites, elles boudent, c'est encore moi qui prends. Je n'ai pas eu un seul sourire aujourd'hui. Et puis ces boites sont lourdes, la remise étroite. Tous les jours je me cogne et cet après-midi, plein de boites dans les bras (il faut tout le temps ranger), j'ai encore bien failli tomber de l'échelle. J'ai un gros bleu au poignet qui me fait mal. Parfois, je me dis que ce travail ne durera qu'un temps et que j'aurais bien une autre vie plus tard. Il y a un mois tu m'aurais demandé ce que je voulais faire, je t'aurais peut-être dit que j'aimerais avoir ma propre boutique. Je l'avais déjà complètement imaginée mais aujourd'hui, je n'en suis plus certaine. Ma mère me disait tout le temps : Ma fille, tu ne sais pas ce que tu veux ! », que j'étais trop rêveuse pour avoir quoi que ce soit. Pourtant, je t'assure que je ne souhaite pas du compliqué et puis ce n'est pas avoir que je veux mais être, de l'être, de l'âme, de l'esprit ! De l'enchantement ! Du simple. Que penses-tu de cela, toi Johan ? Tout me semble riquiqui ce soir.
Je t'en prie, ne m'en veux pas ! J'étouffe et ne pense qu'à moi alors que toi tu es enfermé dans une pièce toute noire ! Comment est-elle ? Est-ce vrai que les murs sont plein de graffitis, qu'il y a des bâtonnets sur les murs pour compter les jours ? Mon frère n'a jamais voulu me raconter. Il est parfaitement idiot. Bon… je dis cela mais c'est parce que ça sent l'hiver même s'il ne fait pas encore bien froid. En automne, tout tombe et je me sens comme une feuille qui n'en finit pas de se détacher de son arbre ! Vivement le printemps…
Suis à la maison. J'ai changé les draps du lit et je vais faire une petite soupe. C'est tout. Comment vas-tu ? Je pense à toi.
Doll.

lundi 14 décembre 2015

Doll (lettre 3)

Cher Johan, C'est de nouveau moi. Juste un petit mot ce matin. Je me suis aperçue que je n'aurais pas le temps d'aller à la poste avant le magasin car je dois en faire l'ouverture, mon patron m'ayant appelée cette nuit pour me le demander. J'étais encore avec Lauren en train de finir une bouteille de vin rouge qu'elle avait apportée quand le téléphone a sonné. J'ai évidemment répondu, je connais son numéro par coeur. Lauren n'arrêtait pas de rire et c'était énervant car je n'entendais rien. Il disait 8 heures. Je répétais 8 heures alors que normalement, on ouvre un peu plus tard à 9 heures. J'ai donc décidé d'y aller pour 8 heures. J'y suis maintenant.
Toute cette soirée a été bizarre. Figure-toi que nous n'avons même pas mangé de poulet et qu'il a cramé. Je suis furieuse, ça ne m'arrive jamais d'oublier quelque chose dans le four mais là…  Je suis normalement plutôt bonne cuisinière je me demande si ce n'est pas le vin rouge qui m'a monté à la tête et les bavardages de Lauren qui voulait à tout prix savoir si je t'avais revu. Elle est vraiment gentille mais toutes ses questions me saoulent. Elle est trop curieuse. Te revoir ! Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Elle n'arrêtait pas de me parler de toi. Je me demande si elle ne serait pas peu un jalouse de notre relation. Si elle t'écrivait, pourrais-tu me promettre de me le dire ? Je crois comme cela que je serai un peu soulagée de le savoir.
Il fait vraiment beau pour un mois de novembre. Ce n'est pas une vie d'être enfermé. Je le suis aussi parmi toutes ces chaussures. Les pieds des gens ne sentent pas toujours bon surtout en fin de journée. Faut être vraiment fou pour se déchausser après 15 heures. Quelle pointure fais-tu ?
Au magasin, il n'y a beaucoup de chaussures pour homme mais si je vois quelque chose qui pourrait t'aller, je suis prête à l'acheter. Comment les aimes-tu ? Moi, je porte tous les jours des talons. J'y suis obligée au magasin, le patron dit que c'est plus classe ; on voit bien qu'il n'en porte pas et qu'il n'est pas debout toute la journée. Cela dit, j'aime beaucoup les chaussures ; c'est vrai que ça habille une tenue. On peut dire que je suis élégante ! (sans me vanter)
Le voilà… faut que je range la lettre pour qu'il ne la voit pas ! Le temps passe vraiment vite quand je t'écris. Je poste ce petit mot pendant mon heure de table et te dis : à bientôt.
A bientôt cher Johan.
Doll

samedi 12 décembre 2015

Doll (lettre 2)

(lettre 2)
Je numérote mes lettres parce que si on ne te les donne pas régulièrement ou si tu décides un jour de les relire, tu retrouveras un ordre.
Mon cher Johan,
J'ai posté ma première lettre pour toi hier et je me rends compte que je ne t'ai pas donné mon adresse pour que tu m'écrives. Pour être honnête avec toi, il m'est pour l'instant difficile de te la donner car je suis dans une situation embarrassante. Je ne veux pas t'embêter avec ça mais sache que la vie à l'extérieur n'est pas toujours simple et que j'aimerais moi aussi trouver un lieu dont je n'aurais pas à m'occuper puisque d'autres le feraient pour moi. Je travaille toute la journée dans le magasin de chaussures et le soir, quand je retourne à la maison, je n'y trouve personne, que des factures et du souci. Mon propriétaire qui avait été charmant au moment de la location, ne l'est plus du tout. Je crois qu'il me surveille et qu'il me vole mon courrier privé. Comme je ne veux pas prendre le risque que tu ne reçoives pas mes lettres, je me suis dit que tu pouvais peut-être attendre un peu avant de m'écrire, que j'irai à la poste et que j'ouvrirai une boite postale rien que pour toi. Ce sera notre secret. D'ailleurs, je ne sais pas si tu as remarqué mais il y a toujours de secrets dans l'amitié, des choses qu'on ne peut dire qu'a une seule personne. Oui, c'est ça, l'ami est celui avec lequel on partage des secrets et lui il nous confie les siens. Es-tu d'accord avec moi ?
Je crois me souvenir que pendant ton procès, on avait parlé de tes amis. D'une fille. Je ne me souviens plus du nom. C'était un joli nom et je suis sûre qu'elle devait être jolie aussi. L'aimes-tu ? Sans me faire voir, je peux bien te le dire maintenant, j'avais pris une photo de toi que j'ai montrée à une amie qui est presque une sœur et elle t'a trouvé beau. Elle m'a dit que tu avais un visage sage avec tes lunettes et qu'elle ne comprenait pas de quoi tu étais accusé et comment tu pouvais l'être. J'ai toujours bien aimé les hommes à lunettes, ils ont l'air plus fragiles que les autres, non ? Aimes-tu les filles qui portent des lunettes ?
Ce soir, j'ai décidé de me préparer un poulet rôti. J'en ai trouvé un tout gros chez un volailler à deux pâtés de maison du magasin ; il lui reste encore quelques poils sur le croupion que je vais enlever avec une pince à épiler  et puis, je l'enfournerai avec un peu de beurre et d'huile, sel et poivre. Peut-être que mon amie Lauren viendra en manger avec moi. Je lui ai téléphoné cet après-midi, elle n'a pas répondu. Ça lui arrive souvent et je ne lui en veux pas. En tout cas, j'espère qu'elle viendra  parce que sinon j'en aurais pour toute la semaine. S'il reste du blanc, je le mangerais entre deux tranches de pain. Tout est si cher que j'essaie de préparer mes déjeuners à la maison comme ça je n'achète rien en-dehors. Et puis, la volaille, c'est bon pour la santé et pour la ligne, n'est-ce pas !? La viande rouge est cancérigène, ils disent maintenant, je ne veux pas attraper le cancer et je ne veux pas être grosse.
Oh, le temps passe vite à t'écrire. Il est déjà 6h30 et je dois m'occuper du poulet. J'espère que tu manges bien là-bas. Il paraît que ce n'est pas fameux me disait mon frère mais il a toujours été  compliqué pour la nourriture alors je ne sais pas.  Ce qui est important est que tu manges et que tu gardes la forme.
J'y vais maintenant. Le temps passe si vite. Je te rappelle avant de te laisser que j'irai à la poste demain pour tu sais quoi.
A très bientôt Johan,
Doll.

jeudi 10 décembre 2015

Doll (lettre 1)

Mon cher Johan,
Je pense beaucoup à toi depuis que je t'ai vu à ton procès. Tu avais l'air si absent et si désespéré que j'ai senti naître en moi un sentiment que je ne parviens pas encore à qualifier. Tu n'as rien de ce qu'ils ont dit de toi, tu n'es pas cruel et on ne peut pas dire que tu as fait du mal. Je trouve que ce qui t'arrive si loin de ton pays est vraiment injuste. C'est mal. Ne sois pas trop désespéré, je suis là. Je m'appelle Dolorès mais mes amies me surnomment Doll, utilise ce nom si tu veux et ainsi on sera amis, toi et moi.
Aujourd'hui parce qu'il fait beau, je suis allée me promener dans un parc à l'heure du déjeuner (je travaille dans une boutique de chaussures), j'ai pensé à toi. J'espère que ce n'est pas trop dur. J'ai  acheté un sandwich énorme (au thon avec des œufs, des crudités et de la salade) mais je n'ai pas pu le finir alors j'ai nourri des oiseaux. Je n'aime pas tellement les grandes villes, il y a trop de violence et de monde. A toi à qui je peux parler, je peux bien te le dire, je suis timide et j'ai du mal à entrer en contact avec des gens mais avec toi, je me sens bien et je crois que je pourrais tout te dire si tu voulais bien.
Il est maintenant le soir, il fait nuit et je suis seule à la maison. Le quartier est paisible ; il se trouve  en banlieue mais il n'est pas trop infesté de problèmes. L'appartement est petit, confortable. Il y a une petite cuisine, un petit salon qui ouvre sur une véranda dans laquelle j'ai installé ma chambre. J'ai tout ce dont j'ai besoin. Ça me suffit. Souvent, je pense que personne n'a besoin de luxe pour vivre, que c'est parce qu'on croit le contraire que des gens commettent des choses méchantes. Qu'en dis-tu, toi ? As-tu déjà fait des choses méchantes ou mauvaises ? C'est vrai que je pourrai aussi le comprendre. Il ne faut pas juger trop vite et puis, qui n'a pas rêvé d'une grande maison avec un homme ou une femme et des enfants ? As-tu des enfants ? Je suis certaine que tu serais un bon père. Je vois cela tout de suite.
Oh ! Mais je commence à bavarder comme avec un camarade cher à mon coeur. Excuse-moi. Comment vas-tu ? Comment est ta cellule ? Dois-tu la partager avec quelqu'un ? Combien êtes-vous ? Mon frère que je ne vois plus (je te raconterai pourquoi) a passé du temps dans un pénitencier. Il s'est beaucoup plaint. Es-tu aussi à te plaindre ? Ce serait bien normal mais je pense qu'il faut accepter ce qui nous arrive et que tu es suffisamment intelligent pour le comprendre.
Le temps tourne. J'écris lentement sur un ordinateur parce que mon écriture est illisible. Si tu préfères des lettres manuscrites, dis-le moi et je m'appliquerai pour t'en écrire.
Permets-moi de te saluer. J'espère recevoir une réponse de toi mais ne t'inquiète pas si tu n'as pas le temps de m'écrire, je patienterai.
A bientôt Johan.
Doll.