dimanche 31 janvier 2016

Doll (lettre 44)

Des jours comme ça = l'alignement parfait des planètes, de l'ordre dans le chaos, de l'ordre naturel ou un chaos ordonné peut-être, l'ouverture d'un trou noir, une visibilité nouvelle, l'envie de vivre même avec tous ses démons, les transformer au gré de ses besoins, les faire exister tout en ayant un peu la maîtrise. Ou pas du tout. 

Des jours comme ça : 
une lettre de Johan
Charles absent 
la maison pour moi seule
ne pas être aller travailler, savoir que je n'irai jamais plus, ne pas avoir eu peur, répondre au téléphone quand le patron a appelé, ne pas fuir, fuir dans rien. 
Un coup de téléphone de Koch

Toi ! Merci. 
Ta lettre me touche. 
Il y a donc des cerbères ventripotents qui dérobent le feu ! Les salauds. Au moins un. 
Bien que n'ayant pas de copie de la 35, je… enfin on verra ; oui oui on verra, plus de plan maintenant. On verra. Suis embêtée pour le dessin. J'en ferai un autre, des autres, des tas d'autres avec des yeux et des bouches et des bras et des jambes articulés et même des arbres et des oiseaux, papillons et chrysalides, pélicans aux gorges pleines de poissons, nuées nuages, rivière et source, champs, brebis... tout ce qui me viendra en tête, Johan. On verra. Merci d'avoir écrit. Je t'enverrai le dessin que j'avais joint à la trentième, je crois avoir pris une photo au cas où… 

Pour moi, c'est assez difficile d'écrire ou de parler en ce moment : je reste bloquée sur des mots, des mots innocents ou que je n'avais jamais entendus vraiment parce que toujours dominés par un sens possible. Écoute ce mot,  « demeuré », je suis une demeurée, donc quelqu'un de stupide n'est-ce pas mais demeurée, n'est-ce pas plutôt  « être en soi, resté en soi-même? »… qu'y a-t-il donc de stupide, ici ? 
- Tu ris ?
- Oui, moi aussi !
Ça ne facilite pas la communication. Heureusement que Charles est bavard. Il fait moins attention à tout ça, parfois me reprend, me taquine. 
Voilà où j'en suis. 
...

Charles ou Henri, c'est pareil. Enfin, pareil non mais c'est la même personne. Henri c'est son autre prénom et au début quand il parlait de lui il disait Henri. Moi Charles, lui Henri comme s'il était deux, comme si je n'était pas il ou il pas je, comme si au passé il devenait Henri. J'aimais bien. Je ne suivais pas toujours, si je suivais c'était écouter l'histoire d'Henri, pas celle de Charles, l'histoire de quelqu'un que je ne connaissais pas, quelqu'un dont l'histoire n'envahissait pas la présence de Charles,  ce que je pouvais comprendre de lui, de ce Charles en face de moi. A y réfléchir un peu, c'est de la liberté. Quand on est vieux, n'est-ce pas une grande force que de se séparer d'une partie de ses propres aventures ?? 

Mes cheveux continuent de dégringoler. J'ai un petit rond vide au-dessus du crâne. Je sens le froid et quand je le caresse, c'est tout doux.
J'ai hâte de recevoir une autre lettre de toi, de voir Charles et de me promener avec Koch. 

Merci encore pour ta lettre, cher Johan. En refaisant ce qui te manque, on contournera Cerbère et on lui fera un formidable pied-de-nez ! 

Je t'embrasse bien fort, 


Doll

Doll (lettre 43)

mais qu'elle est conne cette postière… 
sur le pas de la Poste, là devant, me regardant venir au loin et moi ne pensant pas m'y arrêter et elle avec ses grands bras faisant des gestes dans ma direction mais qu'est-ce qu'elle veut encore je me disais évitant de la regarder et j'ai failli repartir en sens inverse pensant d'un coup que ce village était bien entre deux autres, que je pouvais changer de direction comme j'en avais envie… Et elle, les bras en l'air youyou youyou !! Et elle m'appelle. Je n'aime pas mon prénom quand il est crié. Elle m'énerve cette bonne femme. J'y suis quand même allée, tu penses. Peut-être avait-elle parlé de moi à quelqu'un, que j'aurais peut-être bientôt un boulot ou qu'en sais-je ! Bref. Elle était toute excitée, Doll par ci et Doll par là et viens (elle me tutoie maintenant). On entre avec plein de questions sur Charles, le café, les fléchettes, les dames… elle me montre une lettre !!! Aussi sur-excitée que si ça avait été pour elle, mais le pire n'est pas là…  

Je n'avais plus ma clé. L'horreur ! Tombée sans doute cette nuit, glissée de mon poignet (oui c'est ça, maintenant j'en suis sûre). Je ne l'avais pas. La postière entre-temps était allée rejoindre son bureau derrière cette vitre quasi blindée… qui la protège des p'tits monstres du village, la vilaine, la vilaine qui pourrait bien crevée tant elle est méchante et perfide

Pas de clé pas de lettre, Doll 
Pas de lettre plus de Doll
Plus de Poste, plus de postière
Grosse naze. 

J'ai soupiré 12 fois. 12 fois, je lui ai demandé de me donner cette lettre puisqu'elle savait bien que c'était moi et moi qui avais cette clé momentanément perdue mais c'est tout de suite que je la voulais, tout de suite !!!! 

Je l'ai. Enfin. 
Je suis rentrée immédiatement. J'ai cru commettre un massacre. 

Elle est devant moi. 
C'est ça que je voulais te dire avant de l'ouvrir. 
J'ai un peu peur. 

Je t'embrasse fort et à très vite. 

D. 


Doll (lettre 42)

J'en étais certaine… ce matin incapable de me lever. Il aurait fallu une grue pour m'extraire de ce lit tout confortable. Charles m'a non seulement donné une grosse couette en plumes, légère et chaude mais a installé un radiateur dans ma chambre, une espèce de poêle à bois qui semble couver. C'est fantastique. Ça sent le bois, il fait tiède quand je me couche. Le matin est en revanche nettement plus glacial mais l'important n'est pas là du tout. Je ne me suis pas levée pas parce qu'il faisait froid mais parce que je n'en avais pas envie. Vers 11 heures, Charles est venu avec un bol de café, il s'est assis sur mon lit et m'a dit qu'on devait parler. De quoi ? Plus tard, il a dit. De quoi, je n'en sais donc rien, il m'a juste dit qu'il devait sortir, qu'il ne reviendra pas avant demain, que je ne devais pas l'attendre. 
Je ne l'attends pas. J'ai mis l'ordinateur dans la cuisine. Je mange une crêpe arrosée de cognac, je vais en manger jusqu'à ce que la tête me tourne. 
Les trésors sont toujours là : ce crâne, une boussole, une vieille montre, des fleurs séchées, des scarabées, un scorpion, des dessins, des papiers pliés, trois dents, deux ou trois photos, des coupures de journaux, une boucle d'oreille, un morceau de tissu, des cailloux, quelques fioles avec du liquide...  Une couleur ambrée pour l'une d'entre elles, on dirait du miel, je ne sais pas ce que c'est. Ça a aussi la même couleur que le cognac que je verse dans mon verre. Dans le café, c'est bon. Juste une petite goutte, une lichette. Pour le tonus ! Je suis en forme ! 
J'y suis pas allée. 
Y aller aurait eu un goût de cendre ou de défaite. 
Je ne veux rien devoir à personne (enfin surtout pas à lui)
Tu comprends ?
Je ne retournerai pas non plus me coucher. J'en profite. Je suis pieds nus. Le froid remonte par la plante des pieds, j'ai ouvert en grand la fenêtre et je fume le tabac à rouler de Charles. Je vais aller me promener, marcher sans doute jusqu'au village voisin voir à quoi il ressemble. Je suis bien. Parfaitement bien. Marcher de plus en plus loin, me vider la tête jusqu'à ne plus rien avoir à vider. Et rien non plus du passé. Du passé rien et rien, rien du tout. 
Le ciel est tout bleu. Fin janvier. 
Si l'on m'avait dit… 

Des gros bisous, cher Johan, à vite j'espère. 


Doll

Doll (lettre 41)

Le jour va bientôt se lever cher Johan, je ne sais pas si tu es réveillé ou si tu peux le voir. C'est beau. Tout est d'un rose bleuté avec des esquilles oranges. On dirait certains yeux quand ils sont bleus. Ceux de Charles le sont. Je sors juste de sa chambre, il dort encore. Il dort beaucoup en plus que moi bien qu'il se réveille toutes les heures, qu'il tousse, remue. J'ai tout entendu.
Ce matin, à moi de faire le pain, de ramasser les œufs, de cuisiner. Des crêpes aux pommes, j'ai envie que je ferais ensuite flamber d'une flamme si haute qu'elle touchera l'abat-jour. J'espère quand même que je ne mettrai pas le feu. Je ne parviens pas à dormir à cause de tout un tas de cauchemars dans lesquels des cafards, des blattes me bouffent la peau et même des coccinelles au coin des yeux, suffisamment petites pour se faufiler dans mes narines. Sais-tu que ce n'est pas si gentil ces petites bêtes quoiqu'on les appelle des bêtes à bon dieu ?

Allongée sur le lit de Charles tout à l'heure et pensant à toi, j'ai fait un calcul… Pour 10 lettres envoyées, j'en reçois une de toi. Une pour 10. Est-ce normal ? Équilibré ? Oui, bien sûr je me suis dit, puisque Johan est en prison. Je me suis rendormie, collée à Charles. Ses ronflements me tiennent chaud, je prends sa main et je me retourne à mes cauchemars. Ce n'est pas à cause de  lui, ça non…

Éveil en sursaut. Demain pour le travail.

J'ai bien trouvé des chaussures mais pas dans le magasin où je n'ai pas eu la force de retourner, même pas en ville, dans cette rue pleine de boutiques. J'ai trouvé des pompes d’occase. Elles me prennent bien la cheville, je ne crains aucune foulure. Je les porte tout le temps. Ça fait une démarche lourde ; je me sens plus près de la terre, du sol, plus terrienne. Elles sont comme des racines. J'ai maintenant un gros bonnet pour tenir mes cheveux.

J'entends Charles. La porte de sa chambre. Je vais faire les crêpes et t’en garderai une au cas-où !
On les mangera en pensant à toi.
Où en es-tu de tes travaux, de tes recherches ?

Je file et t'embrasse moultes fois.



Ta petite Doll.

jeudi 28 janvier 2016

Doll (lettre 40 )

Aujourd'hui j'ai vu tomber la lune. Il y a eu un gros point jaune à l'horizon de l'étang en face de chez Charles. L'herbe est rase en ce moment. Les vaches étaient rentrées. Un point jaune comme un bouton d'ascenseur. La terre plate comme une assiette avec par-dessus une cloche à fromage. 
Et moi debout comme un piquet, solide, impénétrable à tout tout au loin. Si la lune m'avait regardée, elle aurait vu une écharde. Un fragment. Moi j'ai vu sa chute. L'instant où elle a touché le sol, l'impact, la glisse, sa disparition au loin et cette nuit très noire si noire qu'elle est charbon. Je suis devenue noire moi aussi. Moka a miaulé. Son regard zèbre. Les arbres ont disparu. Il y a eu un silence encore plus épais que celui de novembre dans la ville. Plus d'oiseaux, plus de hululements. 
Et la chouette ? 
Je n'en sais rien. 
… 

Charles n'a pas disparu. Il veille. Il a fait de la soupe de pommes de terre et de carottes. Elle est toute orange, je pourrais en boire des litres. Ça réchauffe après tout. 
Il s'en passe bien plus ici qu'il s'en passe ailleurs. 
J'ai envie d'un cognac. 
D'un homme. 

C'est difficile de replier une tente. Je m'y suis reprise à trois fois mais j'y suis arrivée. Elle est rangée dans la grange. Je dors à nouveau dans mon lit. J'entoure la chaîne à mon poignet. 

Encore 48 heures. J'ai mes encoches personnelles sur ma peau, des petites griffures et mon compte-à-rebours. 

Combien de jours pour toi ? 

Des baisers de Doll. 



Doll (lettre 39)

Très cher Johan, 



J'ai dit à Charles que je partirai camper ces prochains jours même si Koch ne vient pas avec moi (son absence étant possible puisqu'il travaille – je ne sais plus ce qu'il m'a dit). Cette nuit, il a fait un feu dans son jardin et il a déballé la tente. J'ai dû la monter toute seule éclairée par un tout petit feu dont il fallait que je m'occupe en même temps. La terre était très dure. Un mal fou à planter les piquets même avec une masse. Du vent. Difficile de mettre cette tente correctement. Mais je l'ai fait comme j'ai pu. Ça m'a pris 1h45. Charles me regardait avec un léger sourire mais il n'a rien dit. Il est juste allé chercher un fauteuil, s'est assis non loin bien recouvert d'une immense couverture. Voilà, je sais ! 
J'ai dormi à l'intérieur, à même le sol ou presque. Charles pour me féliciter m'avait donné sur le coup de 3 heures du matin un matelas mousse pour que je n'ai pas trop froid. Doll, il dit, « faut pas rester à même la terre, ça va glacer tes os ». Je n'avais pas du tout sommeil, tu t'en doutes. Je me suis quand même endormie, effectivement gelée. J'ai tenu 2 heures et puis suis allée dans mon lit. 
De ma fenêtre, je vois la tente. Le feu est éteint. La bâche normalement bleue est blanche de givre. Maudit hiver ! Je ferai comme s'il n'existe pas, partirai quand même quand je serai prête. 
Je continue encore à peler. Un peu moins maintenant mais encore un peu. En revanche, je perds mes cheveux en quantité importante. Quand je balaie la cuisine, j'en trouve en masse. Charles rit. Il a bien vu tout ce qui se trouve dans la balayette mais dit que pour le moment ça ne se voit pas. Je ne suis pas inquiète. Y'a qu'un truc auquel je tiens : mes dents. Je les lave deux fois par jour, pas plus, j'ai peur qu'elles tombent. C'est idiot mais comme j'y pense, je les regarde, les touche. Ça a l'air de tenir. 
Bref… On verra. 

Encore 3 jours. J'irai au magasin pour m'acheter une paire de chaussures de marche. Et puis de gros collants et un bonnet. Peut-être que j'irais chez le coiffeur. Charles dit que je pourrais économiser cela, qu'il sait couper les cheveux, que je les ai faciles, domptables et qu'une coupe courte m'irait aussi. 

Sous la tente, j'avais l'impression de voir le ciel. De me voir comme si j'étais sortie de mon corps. Trop bizarre. Ça devait être une réaction au froid. 

J'espère que tu vas bien, Johan, et que je recevrai une lettre de toi avant que je parte. Fait-il froid en prison ? Y a-t-il des courants d'air comme sous une tente ? 

Je pense à toi, encore et encore et t'embrasse. 


Doll

Doll (lettre 38)

Charles voulait m'appeler Mam'zelle, ça devait lui rappeler je ne sais qui, une danseuse, une actrice, quelqu'un. Sa femme s'il en a eu une. J'ai aimé quelques heures ce Mam’zelle, léger, nuageux. Je voyais à travers lui une petite chose fragile, une p'tite valise, un voyage, un oiseau du genre mainate en moins gros mais capable de reproduire des sons, de chanter, d'être en la présence des hommes et puis je n'ai plus aimé du tout. Mam'zelle. C'est idiot. Horripilée peut-être… je suis la… cette… sa… « petite chose » mais que sont chose et petite les deux, les deux collés ensemble ? Je n'ai pas envie. Je le lui ai dit, un soir, on rentrait d'une promenade, il y avait tous ses trésors posés sur la table avec un crâne ramené de Tahiti. Je lui ai dit. « Pas Mam'zelle », j'ai dit. 
Ça lui échappe. Mam'zelle revient. On est au café. On joue aux fléchettes. Je l'écrase dans la cible, pile tout au fond, pas Charles mais ce mot, ma condition je gagne la partie en riant et en trichant un peu. Il ne voit plus très clair. Pas Mam'zelle, donc. Il a bien vu ma rage. Il a eu peur je crois bien. On est rentrés bras dessus bras dessous. Je suis allée me coucher tout de suite. Il est monté, a frappé à la porte. Je n'ai pas ouvert et ce matin, dans la cuisine d'où je t'écris, il n'y a personne mais du café chaud et très noir comme je l'aime et qu'il prépare pour moi dans lequel se glisse une larme de lait très très blanc tous les matins vers 9h30. Pas de tartine, pas de bacon, pas d'oeufs, je les fais moi-même. 
J. - 5 : et puis… 
Je n'ai pas changé d'idée. Ce n'est plus possible, tu sais… 

La ville ne me manque pas. Koch a téléphoné encore une fois pour savoir si je voulais aller me promener en forêt. C'est un gars des champs à ce qu'il dit, le frère des collines et des plaines, courageux à la marche, équipé. J'ai dit que si je partais ce serait pour une semaine au moins et qu'il pouvait m'emmener où il le souhaitait pourvu que ce soit loin et différent. Charles m'a montré une tente pour camper qui fait à elle seule 5 kilos au moins sans compter le poids des piquets. Il dit aussi qu'on ne peut pas camper en hiver à cause du froid mais que s'il était jeune s'il était avec moi qu'on pourrait avoir chaud… Kock me plaît bien avec ses cheveux bouclés. Oui. Mis s'il les coupait, est-ce que ce serait différent ? En tout cas, il ne m'a pas rappelée encore. 

Aujourd'hui le ciel est très clair. On dirait un glacon en train de fondre. 
J'ai envie d'avoir un chien. 

Ma clé est comme tatouée sur ma poitrine, elle se colle à ma peau. Prends tout le temps qu'il te faudra mais écris-moi. 

Je t'embrasse très très fort, Johan.


Doll

Réponse Johan

Ma très chère Doll,

Je suis infiniment heureux. Je commence enfin à te comprendre.
Tes dessins étaient une étroite ouverture sur ton être, mais depuis ta lettre n°33 et les suivantes, j'ai l'impression qu'un voile s'est déchiré, finalement, tu arrêtes de te cacher.
Si je t'écris peu, c'est parce que je veux te lire pour de vrai, en profondeur.
Et enfin tu te livres.
Avant, je ne te connaissais pas, j'étais face à une inconnue sortie d'un carton de chaussures – qui se fait nettoyer la peau chez des esthéticiennes - qui s'est enchaînée le cou avec une clef – qui reçoit ses amis au long nez en peignoir rose – qui mange invariablement des sandwichs, de la soupe ou du poulet – qui apprécie les cailloux et parfois les arbres...
Enfin tu m'apparais et ça me plaît. 
Tes amis me plaisent, surtout Koch et Charles, ou est-ce Henri ?
J'aime que des pélicans t'arrachent la peau, c'est un signe de mutation.
Si j'étais ton psy je dirais : « Mademoiselle, vous êtes en bonne voie de guérison »
Doll, tu m'apparais comme une géante alors que je t'ai rencontrée naine.
J'aime les géants. Je suis dans ma semaine « macrophilique »
A l'attaque !
Je n'en dirai pas plus aujourd'hui, je veux être sûr que ta chrysalide est bien cassée, et je ne veux surtout pas t'influencer dans un moment si radical.
J'attends avec impatience ta prochaine lettre.

Johan 

P.S : Une seule chose m'inquiète ; tu avais raison dans ta lettre n°31 pour le cerbère méchant et ventripotent. Il existe.
Il a dû subtiliser une lettre et un dessin. Le dessin qui devait accompagner la 30ème lettre ne m'a jamais été livré, et pire, il a volé la lettre n°35, la meilleure ! Forcement.
La seule lettre que j'attendais avec une réelle impatience. La lettre où tu te livres entièrement. 
Il y a aujourd'hui un trou dans ma cellule, un trou entre la lettre n°34 et n°36.
Mais ce trou n'est pas une fenêtre, c'est un barreau supplémentaire. 
Ce trou est la pierre qui scelle ma détention.
Je ne sais plus quoi faire, je ne peux plus me projeter.
A 13 semaines de ma libération, je ne me suis jamais senti aussi entravé.



mardi 26 janvier 2016

Doll (lettre 37)


Je ne comprends plus pourquoi je n'ai aucune nouvelle de toi. Es-tu fâché ? 
Mais de quoi, bon sang ! ?? Aurais-je dit quelque chose qui t'aurait contrarié ou es-tu un peine-à- écrire ? 

Quoiqu'il en soit ici, la mutation continue. J'habite toujours chez ce vieux monsieur qui me procure beaucoup de plaisir tant il est gentil avec moi et puis je lui suis utile, ça change. Dans une semaine je dois reprendre les chaussures mais j'irai pas. C'est décidé. Je vais rester ici. Enfin, j'irai le premier jour mais je ferai tout pour me faire renvoyer ce qui ne devrait pas être trop compliqué. Il suffira de m'en tenir à mes horaires, de refuser de travailler toujours plus, de passer des heures dans cette réserve, de ne plus vouloir grimper sur cette échelle branlante… Refuser ses demandes nombreuses, ne pas sourire ou pas systématiquement… S'il me vire, faudra le justifier. Bien du courage à lui ! 
T'ai-je dit au fait que j'habitais chez lui ? Je crois bien mais je n'arrive plus à me souvenir. T'ai-je parlé de ma chambre sous les toits ? De mon lit ? De la table et des repas qu'Henri me prépare ? De ses fantastiques petits-déjeuners ?

Ici, je suis vraiment bien. Mes peaux continuent de tomber. Suis un vrai lézard. Henri m'enlève celle que j'ai dans le dos. Il la dépose dans une coupelle pour que je puisse les voir. Au début, ça me dégoutait mais maintenant j'aime bien. C'est une preuve. Une preuve que je pèle et que je ne suis pas DINGUE. Il dit que c'est normal, qu'en-dessous la peau est neuve et toute rose comme celle d'un bébé ou d'un cochon. Petit cochon et la queue en tourniquet, ça me dit quelque chose, je ne sais plus quoi. 

La postière est conne en fait. Je n'ai plus envie d'aller la voir. Je me méfie des gens heureux, ils ont toujours un truc pas net dans leur poche et puis je n'ai rien à lui répondre, pas de joie personnelle à lui montrer puisque je ne reçois pas de lettre. 

Je termine ici. Henri veut me montrer des trésors. 

Je t'embrasse cher Johan en espérant que tu vas bien. 

Doll



Doll (lettre 36)


Deux jours que je suis chez Charles, mon très cher Johan, presque trois. Je l'aime bien. Il est vraiment gentil avec moi ; je crois que ma présence lui fait plaisir. J'écoute tout ce qu'il dit et à n'importe quelle heure. Hier soir, j'ai dû insister pour aller me coucher. Il était deux heures mais il parlait encore. De quoi exactement ? Je ne ne sais pas. J'aime bien sa voix douce ; il raconte bien les histoires, il a de l'humour, de l'humour dans le ton mais pas parce qu'il se moque. Il a habité longtemps dans une caravane. Cette maison est à sa sœur si j'ai bien compris. Je ne parviens pas à savoir si elle est vivante ou morte. Il raconte tout au présent, même ce qui s'est passé il y a trente ans. C'est ce présent qui me touche. Je t'ai dit qu'il s'ennuyait mais je me suis trompée. En réalité il a cette capacité à la fois de vivre et de revivre. Je trouve cela drôlement beau. Vivre et revivre chasse l'ennui. J'apprends ça. Le monde s'il l'a parcouru se trouve dans ses souvenirs. Ses souvenirs sont vivants ; ils bougent, se déplacent, scintillent. Cet homme est plein de petites lumières. Je t'assure. 
… 
Si je compte bien, j'ai encore 12 jours avant de reprendre le travail. Je n'y arriverai jamais. 
… 

Cette nuit, j'ai rêvé de toi. Tu étais un Charles tout jeune. Nous étions au café tous les deux mais tu t'étais caché sous une table et ne voulais plus en sortir. 

Charles me demande ce que je suis en train d'écrire et à qui. Je ne sais pas encore si je vais lui répondre. Il ne lira pas par-dessus mon épaule, je le sais. Il est vraiment gentil et se mêle de ses affaires beaucoup plus que des miennes. Il dit que je suis son « invitée » : je ne fais rien à part lui sourire. Il dit que c'est un cadeau. C'est difficile à croire. 

… 

A tout à l'heure mon ami. 


Doll

lundi 25 janvier 2016

Doll (lettre 34)

N'est-ce pas qu'on ne peut pas avoir honte de soi ? 
Même quand on se relit. Parfois, c'est difficile. Mes premières lettres sont idiotes et puériles. Je ne savais pas quoi dire pour que tu me remarques, pour que tu m'écrives. 
Aujourd'hui, j'ai trouvé un livre qui 
me parle
de toi. 
Un livre d'un Jonathan Delachaux qui est peintre. Tu y es avec tes amis. Tu y es beaucoup. Ça ne me rapproche pas de toi, ça m'en éloignerait presque. Je suis une miette minuscule. Tu es un géant. 
...
Ce n'est pas comme ça que je dois penser
ce ne sont pas les bons mots
ou les bonnes catégories 
J'ai de la peau qui se détache de tout le corps 
On dirait que j'ai la lèpre mais le médecin me dit le contraire. 
Qui croire ? 
Elle ? Moi ? 

C'est quoi toute cette peau ? Pourquoi peler en hiver ?
… 
Deux semaines entières que je ne travaille plus ; je perds la mémoire. Ça s'efface je te jure. J'ai mal à la tête comme si l'on piochait dedans et que l'on en retirait des morceaux. J'ai comme des creux des absences des choses qui s'imposent et qui disparaissent avec autant de force que lorsqu’elles viennent. Des trous. D'autres trous et puis des pleins. Ça boursoufle. Je me fixe ou bien je fixe quelque chose me demandant si je l'ai assez vu, si je ne devrai pas plutôt le regarder encore, autrement, sous un autre angle. Ça peut être une chaise, un oiseau. J'ai cru voir un pélican. Une mouche, un verre de terre, un détail comme l'oreille d'une vache, un sabot. Idem dans le train, je ne peux m'empêcher de fixer. Hier, je me suis attachée à une mèche de cheveux roses qui me semblait parfaitement réelle, je suis allée demander à cette fille si cette mèche était vraie. Elle m'a dit oui, je la crois.  J'ai même touché ses vrais cheveux. Ils n'étaient pas teint, roses, oui. 
Tout commence à m'étonner, moi en premier.
Avant j'étais groupie. 
M'en fous. 
Plus jamais. 
J'aime ou je n'aime pas. 
Il n'y a fondamentalement rien d'autre à dire. Je dis dire, pas faire. Je ne sais toujours pas ce que je vais faire mais je sais ce que je ne dirai plus. Tu me l'apprends. Ou je l'apprends de toi. La liberté fait envie. 

J'espère recevoir des nouvelles de toi très vite. J'espère aussi que je pourrai t'écrire, que j'en trouverai le temps et l'énergie. Un jour, peut-être n'aurai-je plus honte de rien. 

Je t'embrasse. 

Doll





Doll (lettre 33)

J
Et pourtant je n'y crois pas du tout 


S
U
I
S
C'EST UNE IMMENSE blague. 

D
E
B
O
R
D
E
Un truc inventée pour les crétins par d'illustres connards. 

P
A
R

L
A

L
I
B
E
R
T
E

Insulter, j'aime ça de plus en plus. J'aime de plus en plus paraître mal élevée et rire trop fort afin que tout le monde me regarde rire en se demandant les raisons de tels rires. 
Débordée par la liberté dans un rire libérateur. 

Je ne peux rien dire de plus pour le moment, même à toi. 

Doll
                                                                                                                             qui t'embrasse fort.


Doll (lettre 32)

Koch a téléphoné déjà deux fois. A la seconde fois j'ai répondu pour qu'il n'y ait pas de troisième. Cet petit événement résume bien ma vie sociale. Je n'ai pas envie de voir les gens, ni lui ni Pinocchio, ni ma mère ou mon frère (qui est d'ailleurs retourné en prison pour vol aggravé). Pour le moment, seul m'importe de dormir, de marcher dans la ville quand il fait nuit, d'aller à la poste et de m'arrêter boire un café quand j'en reviens. Lettre ou pas, je m'y arrête toujours. Les habitués commencent à me reconnaître et sont bien gentils avec moi. Hier, j'ai fait une partie de dames avec le plus vieux, barbe et pantalon toujours le même, en grosse toile bleue, chandail en mailles de laine épaisse. Il peluchait et quand je suis repartie, j'avais des poils sur moi ; enfin était-ce peut-être ceux du chat. Il y en a un qui traîne. Il s'appelle Moka. 
La prochaine fois, je jouerai aux fléchettes, j'ai promis. 
Ah Johan, comme j'aimerais que tu sois avec moi ! Ce village te plairait peut-être ou si pas, ce café du moins. Je suis certaine que ces gens t'aimeraient beaucoup. Ils sont plutôt accueillants… enfin au bout de 2 mois… oui, ouverts quand même après t'avoir bien regardé, après s'être tous  assurés qu'il n'y avait plus de questions à te poser… Passons. Tu me manques, c'est surtout ça. C'est une façon de te le dire. 
Le temps passe moins vite maintenant que je ne travaille plus. Dans quelques jours, je devrai retourner voir le médecin. J'ai envie de demander un délai supplémentaire. Je n'arrive plus du tout à m'imaginer dans cette boutique parmi les pieds qui puent. Dans la réserve ! Encore moins. Je ne sais plus trop à quoi ressemble mon patron. J'ai oublié. Ça me fait du bien. L'oubli. Ça pourrait m’inquiéter mais pas du tout, je trouve même cela plutôt joyeux. Et puis mes anciennes collègues… je fais des efforts pour que leurs visages me reviennent mais je n'y parviens pas. J'ai une photo d'elles. De parfaites inconnues. 
Mon propriétaire est encore passé. Il a voulu entrer dans l'appartement mais je n'ai fait qu’entrebâiller la porte. Qu'il me vire s'il veut ! Je trouverai bien un lit. Je n'ai plus envie de me laisser faire. Je change, je change. Peut-être pas en bon… 
Je crois Johan que tu m'apprends quelque chose. Je ne sais pas encore quoi mais je trouverai bien un jour. Je suis attachée à toi. J'espère seulement que cela n'affectera jamais ta liberté. 

Porte-toi bien cher ami. 

Je te salue avec toute la tendresse dont je suis en ce moment capable… 


Doll

mardi 19 janvier 2016

Doll (lettre 31)

Reçois-tu toujours mes lettres cher Johan ? 

Cette nuit, j'ai rêvé qu'on ne te les donnait plus et qu'elles étaient lues par un cerbère ventripotent et méchant qui préférait les jeter plutôt que de te les donner… mais ces lettres sont à toi et à personne d'autre ! 
Triple grimaces à celui ou celle qui les lit : JE VOUS EMMERDE ! 

(ça fait du bien) 

Comme je t'en prévenais, je suis sortie la nuit dernière avec Pinocchio et l'un de ses amis : Koch. Il a les cheveux bouclés. J'aime bien les cheveux bouclés même si ça donne en général, dès qu'ils sont longs, un côté clownesque ou savant fou. Je n'ai pas grand-chose d'autres à dire. Nous sommes allés dans un café où l'on peut encore fumer à partir de minuit. Sur une scène, des gens disaient ce qui leur passait par la tête en improvisant complètement. Fantastique ! Je ne serai jamais capable de ça, de monter sur une scène… Toi, je crois que tu le fais ; qu'éprouves-tu alors quand tu vois ces gens devant toi ? Que ressens-tu ? Je suis bien trop timide pour être regardée. Je préfère encore me cacher… 

Et puis tiens, j'y repense, dans l'autoportrait, tu sais le dernier que je t'ai envoyé… cette femme n'a ni yeux ni bouche. Ca ne m'avait pas frappé mais désormais (je ne sais pas pourquoi) je trouve cela étonnant. Dans le prochain, si prochain il y a, je ne les oublierai pas. 

Je relis tes lettres. Hier dans mon lit je les ai toutes relues et je me suis endormie sur la dernière. 

As-tu un ordinateur maintenant ? 
Comment vas-tu ? 

Je t'embrasse bien fort, 

Doll


PS : écris-moi vite je t'en supplie.

Doll (lettre 30)

(Lettre 30 – Doll, toujours en retard d'un train, 14 jours maintenant...)


Johan, très cher Johan, 

Je ne t'ai même pas souhaité une bonne année ! 


Une très très très très 
bonne année 
Johan 
pour toi
tes proches 
ta famille
et tes amis 

(dont j'espère maintenant faire partie)



Mon dessin accompagne mes vœux. 

Je pense à toi. J'espère que tu vas très bien et que le temps file toujours. 

Des baisers. 

Doll

Doll (lettre 29)

Mon Johan, 


La postière m'a bien fait rire… Il n'y avait pas de lettre mais elle me trouve en forme et rajeunie ! Il faut dire que je suis allée chez une esthéticienne pour un nettoyage de peau. Ça a duré une heure avec des massages sur le front et dans le cou. Très agréable. Je dois faire attention à moi. A 25 ans, il faut commencer à prendre soin de soi. Merci non, imagine l'horreur de se réveiller dans 5 ans et se voir en pomme toute fripée ou à moitié pourrie ! Je suis en train de rire. Je m'imagine très bien comme le joker ou comme je-ne-sais-plus son nom qui a une moitié de visage en bon état et l'autre plein de cicatrices… 
Bref : la postière… 
Raaaah je ne lui avais pas fait de cadeau de noël parce que j'étais fâchée je crois bien contre elle d'avoir ce boulot que j'aimerais avoir mais tu as raison, encore une fois, raison, elle doit connaître tout le monde alors ce matin, je suis arrivée avec un bouquet de fleurs, des tasses et puis des petites cuillères, tout cela mis dans un joli paquet que j'avais entouré d'un énorme nœud vert. Je ne sais pas si mon cadeau lui a plu, c'est difficile à dire, elle m'a juste dit que ça tombait bien parce qu'elle avait besoin d'une tasse à la poste et qu'ainsi elle pourrait toujours proposer un café ou un thé à un client ou à quelqu'un de passage… Elle gardera le cadeau au travail. Peut-être ne l'aime-t-elle pas assez pour l'emporter chez elle ? 
Quoiqu'il en soit, pour étrenner les tasses, nous avons bu ensemble un café délicieux, ni fort ni fadasse délicieux, je lui ai dit en souriant autant parce que je le pensais que parce qu'elle connaît tout le monde. Je lui ai dit que j'aimerai bien vivre ici, que ce serait plus simple pour les lettres et qu'ainsi je réduirai le temps de trajet. Je ne suis pas certaine qu'elle ait compris mais elle a souri et m'a dit que j'étais « marrante ». Ce fut à mon tour de ne pas comprendre, j'espère que dans sa bouche « marrante » ne veut pas dire « folle » ! Non mais tu imagines… si elle me croit folle et qu'elle en parle à tout le monde, je serais grillée. 
… 
Je n'y pense plus. 
Dans le train à nouveau, je regarde les passagers. Il y a un enfant qui joue en plein milieu du couloir pendant que l'adule qui l'accompagne fait une sieste. J'aimerai bien être cet enfant. Jouer en plein milieu d'un couloir de train, sentir la vitesse, les vibrations. Il joue avec des cubes et une balle, se faufile entre les pieds des passagers… Ce n'est pas très propre mais je crois que je m'en fous. 
… 

Ce soir, je sors. Pinocchio veut me présenter quelqu'un. Je suis contente d'avoir la peau aussi nette presque parfaite. 
Cette nuit, je terminerai le dessin. 

Ne m'oublie pas Johan. Pense à moi de temps en temps. 


Doll

Doll (lettre 28)

« le temps passe très vite », écris-tu… oui il passe plus vite quand on fait plein de choses. C'est peut-être cela que je ne supporte pas bien, que ça passe trop vite, n'avoir le temps de rien et de mourir un jour sans avoir rien fait. Ou alors, j'ai juste peur de ne rien trouvé à faire. Tu me manques. 
En ce moment mon cerveau bourdonne. J'ai l'impression que des milliers d'abeilles ont pris cet espace dans ma tête qui devait être bien vide, soit... Ca bouge sans arrêt. Je mange, je t'assure, je bois de l'eau, je marche. Tous les jours ou presque… Je n'ai pas d'hallucinations et pourtant je sens qu'il se passe quelque chose là-haut. Je pense à toi à peu près tout le temps, même quand je dors. Je sens que tu es là, pas loin et que oui, oui tu me regardes. Moi aussi, je te regarde. Merci d'ailleurs pour tes belles photos. J'ai l'impression que tu es dans un atelier, pas du tout en cellule. Tu es beau. D'une beauté particulière ; tu es… bah, j'ai pas les mots ! 

Que dois-tu faire avec tes néocolors ? Quel travail dois-tu finir ? Dis-moi s'il te plaît, ça me ferait plaisir de le savoir. 

La maison dans le village n'est pas loin de l'autoroute. Je te ferai un dessin, promis. On ne l'entends pas. Il y a d'abord une route, enfin, un chemin relativement large et puis elle est derrière côté jardin, exactement. On peut la voir de la fenêtre de la salle-de-bain qui est à l'étage et du jardin évidemment auquel on va par une petite porte qui oblige à se baisser. 
Je suis retournée hier visiter la maison, elle me plaît beaucoup. Elle a sa propre odeur. J'espère que tu as raison pour celle du proprio, je voudrais l'oublier et oublier toutes les odeurs qui puent comme celle de mon patron, l'odeur de son haleine quand le matin il avait des choses urgentes à dire et qu'il nous emmenait dans la réserve. 
Je ne veux plus de cette vie, plus du tout ! 
J'ai encore 3 semaines pour trouver des solutions. 

Johan, je dois sortir prendre l'air. La tête me tourne un peu. Je vais poster cela et me mettrai au dessin que je t'enverrai dans une lettre prochaine. 

Porte-toi bien. 
Je t'embrasse fort. 

Ta Doll




Doll (lettre 27)

Mon très cher Johan, 



tu sais ça se passe comme ça, d'abord très très lentement… 
tu as l'impression que ton cœur recommence à battre alors que tu ne savais pas qu'il avait cessé de battre… 
au début, tu comptes, 1 et puis 2 et puis ça s’enchaîne. Tu ne sais pas encore si ça va s'arrêter ou non, tu comptes juste parce que tu t'accroches à quelque chose, au cœur, au battement, c'est vital. Oui, c'est vital le cœur, c'est l'organe de la vie, non ? 
Ensuite, tu as l'impression de devenir plus léger, que tu pourrais te lever, presque voler, oui voler comme un oiseau. Tes pieds remuent, tes jambes, tes cuisses… 
Tu peux bouger le bassin. 
C'est comme si l'énergie du cœur allait partout. Dans les mains, dans les ongles et même jusqu'aux cheveux prenant la peu du crâne… et puis tu te sens mieux, comme si tu te réveillais ou comme si tu sortais d'un terrier dans lequel tu t'étais réfugié… 
Ça me fait ça de lire tes lettres. L'impression d'un éveil. De l'énergie. 

Tu sembles tellement libre ! Tellement plus que tout le monde ! Dis, comment c'est possible d'être si libre alors que tu es en prison ? Pourquoi me sens-je si prisonnière alors que je suis libre moi, au moins d'aller et venir ? C'est un mystère et c'est le tien ! Je ne sais pas si j'ai envie de le percer. J'en profite, c'est tout. Merci pour ton formidable cadeau. 

Tu sais après t'avoir lu avec tout ce que tu me racontes de fantastique, j'ai l'impression d'être une tarte qui ne sait pas quoi faire dans la vie mais ce n'est pas grave. Ça peut sûrement changer. Oui, je vais changer tout ça afin de ne plus jamais être une tarte ! Je vais essayer d'être un peu moins lâche, un peu plus libre. Je vais essayer. 

Je tombe de sommeil. J'ai un peu bu ce soir pour fêter ta lettre. J'ai mis une nouvelle robe et puis je me suis maquillée comme si j'attendais quelqu'un. C'est peut-être toi que j'attends. Ou la une vie plus vraie. Je ne sais pas. 

Ce que je sais en tout cas c'est que je t'embrasse mille fois. (où tu veux). 
A très bientôt j'espère. 



Doll

Doll (lettre 26)

Tu ne peux pas savoir : mon coeur bat la CHAMADE ! J'ai une lettre de toi relue déjà au moins 15 fois pour bien m'en imprégner ! Tu me rends heureuse. Merci, merci merci. Merci Johan ! Je la conais presque par coeur. 
Je la relis et relis. 
Je vois que tu vas bine et c'est le principal, la seule chose qui compte : que TU ailles bien. Rien d'autre n'a d'importance pour moi que TON moral, TA santé, TA liberté. 
Tu es incroyablement courageux ! 
Le plus courageux de tous les hommes que je connais.

Je te réponds plus tard. Là je suis dans le café du village. Je poste cela maintenant et puis je t'écrirai plus longuement ce soir de la maison. 

D'énormes bisous. 


Doll (très très heureuse)


Doll (lettre 25)

Mon très cher Johan, 


Toujours en vacances et toujours un peu malade finalement. Je me demande si ce n'est pas l'existence elle-même qui… mais non je ne suis pas parano, enfin pas trop bien que j'aie souvent l'impression que le destin s'acharne… Ce matin, je me suis forcée à m'extirper du lit pour aller prendre le train. Ma clé ne me quitte plus je te l'ai dit. Oui oui je me répète mais je dois aimer ça te parler quitte à me répéter et à ressasser des choses absolument pas importantes. Cette clé est quand même ce qui m'ouvre à toi et aussi le chemin, la rue, le train, ce village, ses bruits, ses sons et puis ces gens que j'ai rencontrés. La postière. 
Elle est gentille et aujourd'hui complètement rétablie. Disons que je ne l'ai plus vue pleurer. Elle sourit à nouveau. Elle me sourit quand je n'ai pas de lettres, elle est contente quand j'en ai une. Ca fait longtemps que tu ne m'as pas écrit. Tu dois être très occupé, plus que moi en tout cas qui ne fais rien à partir dormir. J'ai recommencé à manger. D'abord de la soupe et puis maintenant je mange comme avant. J'achète des sandwiches comme si je travaillais ou alors les prépare à la maison. Je mange. Aucune nouvelle du propriétaire. De personne. Pas de Pinocchio non plus et Laureen doit bouder car elle ne passe plus jamais. C'est bien. C'est peut-être la condition our que je change de vie complètement. J'évite aussi d'aller au centre aux alentours du magasin. Je ne sais pas si je suis censée sortir avec ce que j'ai. Si c'est dans la tête, ce n'est pas contagieux. 
Seule ma mère s'inquiète de mon état… comme je ne travaille plus et qu'elle me considère en vacances, elle croit pouvoir me demander plein de choses que je refuse de faire. C'est mon refus qui d'ailleurs l'inquiète, pas mon état. Elle dit que je suis paresseuse. Si elle veut… je m'en fous.
(…)

Je suis dans le train. J'ai hâte d'arriver à destination. L'air de la campagne me fait du bien. J'ai des écouteurs dans les oreilles. J'écoute Antony and the Johnson parce que c'est triste et qu'on ne sait pas d'où vient cette voix, de quel organe. Homme / femme ? Je sais que c'est un homme. Je l'aime comme ça. 
Encore un arrêt et ce sera le mien. J'espère que je verrai de l'herbe et puis des vaches. J'espère que la petite maison sera toujours en location. 

Des gros bisous Johan, 

Doll





Doll (lettre 24)

Mon Johan, 


On a changé d'année il y a 10 jours.
Ne voulant pas voir Laureen, je suis restée à la maison avec une bonne bouteille de vin rouge. J'ai eu raison parce que Pinocchio est passé, enfin plus ou moins raison. Nous sommes restés ensemble tard dans la nuit et comme il ne voulait pas rentrer chez lui, il a dormi dans un fauteuil en face de mon lit. Le réveil fut épique. Il ne retrouvait plus ses chaussettes ni son caleçon. Bizarre parce que je ne me souvenais plus qu'il les avait enlevés. Mais c'est ensuite que c'est devenu plus glauque quand mon propriétaire est arrivé à mon étage présenter ses vœux… Tout le monde ouvrait sa porte, j'entendais bien mais je ne savais pas que c'était lui. Quand ça a sonné ici, je suis allée ouvrir la en riant, Pinocchio était sous la table portant mon vieux peignoir rose… Le proprio n'a pas eu l'air content. J'ai reçu une lettre de lui ce matin me disant qu'il avait loué cet appartement à une seule personne, moi, et qu'il ne tolérerait pas que j'habite avec quelqu'un. 
Je ne sais pas quoi faire. Je ne connais pas les lois mais je suis étonnée qu'on ne puisse même pas inviter un ami chez soi. C'est glauque. Très glauque. 
Je ne peux pas me permettre en ce moment d'être chassée d'ici. Malade, aucun propriétaire ne voudra me louer un endroit. J'ai téléphoné à Pinocchio mais il ne me répond pas. 
J'ai un peu peur, je te l'avoue. 

C'est quand même une triste vie, non ? 
Bon… 

Et toi, comment vas-tu ? As-tu eu un menu « spécial fêtes » ? J'ai lu dans un journal que certaines prisons faisaient un effort pour Noël… peut-être que c'est vrai partout ! 
Nous, on a rien mangé de particulier. 

Où en es-tu de ta collection de mots ? 

Tu sais, je t'ai fait un cadeau… Disons que je me suis dessinée. Je t'envoie le dessin avec cette lettre. 

Je t'embrasse bien fort. 

Doll




Doll (lettre 23)

Contrairement à avant-hier où j'étais pleine d'allégresse et sûre de moi, je suis aujourd'hui un peu perdue. Je crois que j'ai perdu l'appétit. Deux jours entiers sans rien ingérer du tout. 
La liberté fait peur. 
Me fait peur. 
Je comprends pourquoi les gens travaillent, pourquoi il faut absolument avoir des choses à faire tous les jours. La paresse me guette et je me dis que je me sens quand même très déprimée. 

Johan, parle-moi de toi ! Toi, tu dois savoir tout ça. Qu'est-ce qu'on peut bien faire quand on ne vend plus de chaussures ? Une fille comme moi, qu'est-ce qu'elle peut faire ? 

Il fait tout gris. Que vois-tu exactement de ta cellule ? Ton ami vient-il toujours te voir ? 
Je vais aller à la poste aujourd'hui. Peut-être mangerai-je quelque chose de bon au café. 

Je t'embrasse mille et une fois. Tu es un homme courageux. 


Doll

Doll (lettre 22)

   Un chewing-gum que je mâche et qui n'a plus de goût, c'est vraiment ça ! 

Mais je suis d'excellente humeur aujourd'hui, Johan chéri. Excellente humeur car j'ai eu droit à un mois de vacances accordé par le docteur, une gentille dame cette fois-ci (pas l'autre, le vieux crétin) avec une blouse blanche qui m'a trouvé une dépression nerveuse, ce qui est normal me dit-elle dans les secteurs sous pression comme la vente. Comme tu peux t'en douter, j'ai dit oui, que je ne me sentais pas bien, que j'avais sommeil tout le temps… Ma tension est basse. « Repos » a-t-elle ordonné ! Extra, c'est extra ! Un mois, c'est énorme !!! Que vais-je faire ? 
Que vais-je faire ? 
La pensée de changer de vie ne me quitte guère. J'y pense plusieurs fois par heure comme à une sorte de sac plein de trésors. Le sac est fermé, du moins pour le moment. Les trésors ils sont plutôt brillants quoique je ne pense pas à une vie brillante ; ça pourrait bien être des cailloux. J'aime bien les cailloux, il y en a qui ont une jolie couleur. J'aime les graviers et les galets sur les plages ou ceux qui bordent les rivières. J'aime bien la pierre. Le sac, il ne ressemble à rien, on dirait un grand sac beige en toile de jute mais il est solide. Très solide. Changer de vie… il y a bien sûr cette petite maison dans le village… la postière … mais celle-ci que je vois régulièrement va beaucoup mieux. Heureusement pour elle, malheureusement pour moi, elle ne pleure plus, ouvre la poste régulièrement. Personne ne se plaint. C'est vrai que j'avais pour idée de lui proposer mon aide, d'aller voir le maire pour voir s'il n'y aurait pas du travail dans le coin… Oui, faut que je réfléchisse, je vais avoir le temps ! 

Que fait-on quand on ne travaille pas ? Je crois que je vais beaucoup dormir, prendre des bains avec de la mousse et puis penser à toi. Ça m'a toujours beaucoup occupée de penser à ceux que j'aime même s'il est rare que j'aime quelqu'un. Je verrai bien. Pas de plan. 
Oui, je verrai. Et je trouverai bien des trucs à faire. 
Dessiner ? Pourquoi pas ? 

Un mois de vacances : suis vraiment vraiment très très contente ! Je dois retourner voir cette dame dans 15 jours pour un premier bilan. 

Johan, ça fait longtemps que je suis sans nouvelle de toi. Je m'inquiète un peu. J'espère que tu es toujours tout seul dans ta cellule, que personne ne t'embête, que tes projets avancent. Tu as vraiment de la chance d'en avoir… et d'avoir tant de force. 

Je vais sortir un peu, profiter du temps qui passe et poster cette lettre. 

A très vite mon cher Johan, je t'envoie des baisers bien tendres. 



Doll

Doll (lettre 21)

Je m’en veux. Je voulais t’écrire tous les jours mais je n’y arrive pas. Je n’ai aucune excuse. Aucune excuse. Je rêve.
Il y a de la soupe au potiron en train de cuire. J’ai complètement oublié la recette que normalement je connais par cœur. J’avais oublié par exemple que pour qu’elle soit meilleure je devais faire revenir les légumes dans du beurre avant d’ajouter le bouillon. Je préfère danser la cougnagna. Tu sais ce que c’est ? Non, tu ne sais pas, c’est une danse que j’ai inventée. Tu es assis, tu imagines une musique et tu bouges les bras. C’est bien pour s’étirer. Cougnagna, rien que le mot me fait rire. 
C’est dimanche. 
Hier, j’ai encore décidé de ne pas aller au travail. Mon patron sent bien qu’il se passe quelque chose dans ma vie. « J’ai changé », il me  dit. Il m’a bloquée dans la réserve pour parler mais je n’avais pas envie et il y avait bien trop de monde pour qu’il insiste. Vendredi, en quittant le magasin, j’ai encore dit que je me sentais pas bien et que j’avais rendez-vous avec le docteur. Pas de docteur, tu t’en doutes. J’ai pris le train pour le village. Quand je suis arrivée, il faisait déjà bien noir et les lampadaires ne fonctionnaient pas. Une sorte de coupure électrique gigantesque mais je ne voyais pas ce qui avait pu la déclencher. Il n’y avait pas eu de foudre, rien de tombé du ciel alors peut-être était-ce seulement un problème de câblage ou alors quelque chose sans explication précise… j’ai poussé une première porte, celle du café, il y avait quelques vieux qui buvaient du blanc à la lueur de bougies. Ils se sont retourné à mon arrivée, ont dit que je ne devais pas trainer là. Suis partie aussitôt alors que j’avais soif et que j’étais contente de croiser quelques têtes. J’ai pris le chemin de la Poste. La porte principale était entrebâillée, je l’ai poussée et là, j’ai vu la dame qui pleurait, à genoux.  La dame, la gentille, tu sais. Ce qui est bizarre, c’est que je n’ai pas eu envie ni d’aller vers elle, ni de l’aider à se relever, ni à lui demander ce qu’elle avait. J’avais juste envie de la regarder sans bouger pour VOIR ce qu’elle allait faire et combien de temps cela prendrait. Me suis alors cachée dans un recoin. J’ai attendu je ne sais pas combien de temps. Je regardais ses larmes, son corps qui s’affaissait et son buste qui devenait de plus en plus gros comme malmené par une drôle de force qui la faisait changer de forme. Je me disais qu’elle allait bien finir par s’arrêter, qu’elle retrouverait ses jambes et sa tête mais moi je n’avais vraiment pas envie d’aller vers elle. Pas envie du tout parce que je crois que je me disais mais je crois seulement, je ne m’en souviens plus que si elle mourrait là, il aura donc un poste à prendre et que ça pourrait être le mien, pouvant alors faire ce que tu me conseilles mais pas seulement à mi-temps. Malheureusement pour moi mais heureusement pour elle, un gamin est arrivé par une autre porte et l’a aidée. Je suis repartie. J’ai couru vers la gare. J’ai attendu que l’électricité revienne et puis suis montée dans le premier train. 
Pas de lettre. Le temps me fait penser à ce chewing-gum que je mâche. C’est infect à la longue.  
Je crois que je suis de mauvaise humeur trè-s cher Johan et que je ferai mieux de conclure ici. Je pense à toi et t'embrasse. 
N'oublie pas de m'écrire si tu le peux, ça me donnera des forces. 


Ta Doll

mardi 5 janvier 2016

Réponse Johan

Ma très chère Doll,
je ne t'ai pas écris ces derniers temps car j'ai beaucoup voyagé. Comme le docteur Faustroll, j'ai traversé par voie maritime une ville loin des côtes. Aucun singe ne m'accompagnait, hélas, mais des insectes, des extra-terrestres, une femme/homme, une poupée gigantesque en poils de mouton, une femme coupeuse de tête. J'ai marché des nuits entières en suivant l'ombre des arrêtes d'un petit hypercube qui pend au carreau de ma cellule. Mais j'en ai presque fait le tour et j'ai à nouveau du temps pour penser à toi.
A toi… et à une maisonnette, près d'une voie ferroviaire. Ecouter la voie des trains en observant les aliens qui fourmillent dans le petit buisson qui nous sépare des rails.
Tu devrais faire un dessin.
Est-ce que l'autoroute passe de l'autre côté du jardin ? C'est comme ça que je l'imagine, moi.
Je vais essayer d'être plus loquace que dernièrement, pour tenir chaud à ta jambe droite, c'est l'hiver, le chantier du Musée est fermé, même sans neige.
Si tu habitais dans ce village, l'odeur de ton propriétaire te suivrait encore quelques jours, mais après une semaine, deux peut-être, elle commencerait à disparaître. C'est faux qu'on ne peut pas oublier une odeur. On peut tout cacher dans sa mémoire. Ensuite, il suffit d'éviter de s'approcher de toute personne qui a les mêmes traits que ton proprio.
Tu veux une photo de moi ? Je peux t'en envoyer 7. Un ami vient me voir chaque semaine. Il m'observe à travers la fenêtre de ma cellule et fait un tableau. Plus tard, peut-être, je t'enverrai aussi les dessins que j'ai fait sur les murs. Ce ne sont pas des murs. Si je le veux, c'est du vide. Ou un paysage. Ce sont des éléments de décors que je déplace à ma guise. Mes murs sont un trou dans l'espace. Je suis libre. Je t'ai rendu visite, une ou deux fois, tu ne m'as pas vu, tu étais occupée à vendre des godasses à un mère et ses enfants obèses.
C'est pas grave.
Comment va ta postière ? Tu l'as beaucoup vue ces derniers temps ? Pense à lui offrir un cadeau de noël, c'est la postière le vrai chef, elle connaît forcément tout-le-monde au village.
J'aurai peut-être bientôt un ordinateur dans ma cellule. Je n'aurai plus besoin de t'écrire à la main. Si en plus j'ai droit à une imprimante-couleur, tu pourras continuer à me lire en rouge sur fond bleu, mais ce sera plus lisible.
Avant de trop insister pour avoir ce privilège, je veux être sûr de pouvoir garder ma boite de néocolors, j'ai un travail important à finir. Plus que 19 semaines ! Le temps passe très vite, je suis débordé, il y a tellement de choses ! C'est vertigineux.
Je t'embrasse,
Johan






lundi 4 janvier 2016

Doll (lettre 20)

Je n’ai pas pu m’empêcher de regarder la définition des mots que tu m’as envoyés !
Extraterrestre.
Et insecte.
Et si l’extraterrestre avait la forme d’un insecte qu’est-ce que ce serait alors ?
Moi je rêve souvent
Et parfois des deux en même temps et je ne sais pas si c’est un cauchemar ou seulement un rêve. Je n’arrive pas à le savoir mais je me réveille toute essoufflée.
Peut-être une araignée qui viendrait d’ailleurs, un peu comme un mélange de Superman et de Spiderman.
Je devrais faire un dessin.
En tout cas, tes lettres ne me quittent pas. J’ai mis la clé autour de mon cou, bien coincée entre mes seins et je mets tes lettres autour de mon mollet droit quand je porte des bottes. Je mets tout le temps des bottes.
Des gros bisous,
Ta Doll

Doll (lettre 19)

Cher Johan, Je crois que je suis plus raisonnable que toi. Jamais je ne pourrais lâcher mon boulot et déménager en même temps. Suis pas complètement folle. C’est la crise, on nous dit, on nous dit qu’il faut faire attention à ne pas perdre notre job parce qu’on en trouvera peut-être pas d’autres. On nous dit. Et moi j’écoute. Pas toujours mais un peu. J’écoute et je crois que je vais rester encore longtemps dans la ville à vendre des chaussures parce que tout le monde en aura toujours besoin. Parce que j’ai quand même trop peur de tout quitter et qu’il n’y a rien d’autre à faire dans le village que de contempler son nombril. Depuis ta lettre j’ai bien réfléchi. J’ai bien réfléchi. J’ai marché 100 fois dans le labyrinthe de ces ruelles pour voir si je pourrais y habiter mais il y a trop de silence et le silence c’est pesant à force. Ça tombe sur les épaules, c’est comme une armure contre les mots et le bruit. Plus rien ne filtre, on se sent encore plus seul que seul, complètement seul dans sa tête et ses pensées, dans son corps tout engourdi et ça je ne sais pas si je pourrais le supporter même si tu as peut-être raison en disant que le silence ça donne une autre ampleur ou alors quand on n’est pas seul justement, pas tout seul complètement… Et voilà que je deviens toute embrouillée !
Tu sais, Johan, il y a bien une petite location dans une maison : j’ai vu. Une grande pièce et une autre plus petite et puis un petit jardin. Ce n’est pas loin de la voie ferrée, on entend les trains passer mais ce n’est pas gênant, c’est plutôt comme un murmure alors c’est bien possible qu’il me faudrait penser à cela et pas à autre chose. Oui faudrait peut-être mieux que je t’écoute et que je me lance.
Bon mais voilà que je parle encore de moi, et toi, comment vas-tu ? Ta dernière lettre était vraiment courte. J’espère que tu n’es pas malade et que tu n’as pas d’hallucination. Est-ce que la vision que tu as eue de moi c’était comme dans un rêve ou étais-tu réveillé ? Je demande parce que tu es peut-être un magicien ou quelqu’un qui peut voir l’avenir  ou quelqu’un qui voit l’autre comme il pourrait être ? Est-ce un pouvoir ?
Tu sais, ne crois surtout pas que je ne t’écoute pas. Je t’écoute même beaucoup et si j’en parlais à Laureen, elle me dirait que je t’écoute vraiment trop. J’ai continué mes autoportraits. Je me suis amusée avec de l’encre et je crois que ce que j’ai fait c’est toi. Ou moi.
Donne-moi vite de tes nouvelles.
Je t’embrasse,
Doll.

dimanche 3 janvier 2016

Doll (lettre 18)

aujourd'hui je suis allée à la poste et elle était ouverte. Je suis repartie sans rien. Pas grave, la prochaine fois. J'essaie d'y aller tous les deux jours. Aujourd'hui, je me suis fait peur toute seule… devant la boîte, je ne trouvais plus la clé. L'horreur ! La postière est venue vers moi, a proposé de l'ouvrir puisqu'elle me connaît mais j'ai quand même failli pleurer. Elle l'a vue, m'a demandé ce que j'attendais de si important mais je n'ai pas eu envie de lui répondre. En quoi ça la regarde ?
Bref… la clé. Je l'ai trouvée coincée au fond de mon sac alors que je l'avais attachée à un anneau. Pas elle directement mais la ficelle rouge et blanche qu'on m'a donnée avec. Quelle peur ! T'imagines si je la perds et que la postière tombe malade !!!

Je ne crois pas que je pourrai en faire un double. Elle est petite et d'une drôle de forme. A cause de ça, d'avoir cru la perdre et cette angoisse totale, je me demande si je ne vais pas la porter autour du cou, ainsi l'aurais-je avec moi de jour comme de nuit. C'est une idée. C'est bientôt Noël, je pourrai m'offrir une chaine. Oui, je vais faire ça. C'est plus prudent. Et puis ça peut être jolie parce que cette clé l'est et qu'elle est maintenant à moi.
Tout à l'heure, à la sortie du travail, je vais voir mon ami Pinocchio. C'est un surnom qui lui va bien pas parce qu'il ment mais à cause de son nez qui est long et pointu et des ses grandes oreilles. On ira peut-être au cinéma, j'y vais jamais. Je le connais depuis que j'ai 12 ans. C'était avant un ami de mon frère et puis quand j'ai grandi, il est devenu le mien. Je ne l'ai jamais présenté à Laureen, tu sais pourquoi maintenant. Je ne lui parlerai pas de toi, il a un côté inquiet et si je lui dis que tu es en prison, il m'interdire sans doute de t'écrire. Si on va au cinéma, je te raconterai le film si tu veux.
La clé, je peux aussi la cacher. Oui. La mettre sous mon pull. Personne ne la verra. C'est sans doute mieux.
Cher cher cher Johan.
J'ai une demande.
Tu ne voulais pas de photo de moi et c'est mieux mais moi, pourrai-je en avoir une de toi puisque je t'ai déjà vu ? Ca me permettra de patienter quand j'attends tes lettres, c'est-à-dire tous les jours.
Dis-moi.
Regarde, j'ai pris une photo de la clé. C'est celle-là.
Je pense à toi et t'embrasse bien affectueusement,
Doll.

samedi 2 janvier 2016

Doll (lettre 17)

Mon cher Johan, Tout à coup, j'ai peur !
Peut-être que tu n'as pas aimé du tout ce que je t'ai envoyé, ma composition toute bleue… Me sens comme une gamine et me souviens de mon père qui n'aimait pas du tout ce que j'avais l'habitude de faire (lire et rêvasser la plupart du temps) et qui rigolait de moi plus souvent qu'à son tour… Aujourd'hui (nuit, il est deux heures du matin et je n'arrive pas à dormir), je me dis que toi aussi tu as bien dû rigoler et que tu ne l'as pas mise sur ton mur. Peut-être jetée ! Tu aurais raison de toutes les manières… Ma mère t'embrasserait pour cela « faut pas encourager Dolorès à croire qu'elle est quelqu'un… ».
C'est bien vrai que je ne suis personne ou alors comme tout le monde. Ce n'est pas grave. Si cela ne t'a pas fait plaisir, je te prie de m'excuser.
Excuse-moi.
Ce soir, le propriétaire est venu avec sa gueule toute enfarinée. Je suis certaine qu'il dissimule une coupe-rose qui grignote son nez et ses pommettes sous une grosse couche de fond de teint. Il sent mauvais sous les bras. J'ai senti parce qu'il est monté sur un tabouret pour regarder un truc au plafond et qu'il avait enlevé sa chemise pour se mettre en Marcel et être plus à l'aise. Tu parles… Ses bras ne ressemblent à rien, des pattes de poulet. Sa peau est toute flétrie… elle ressemble (rooh tu sais…) à la peau de vieilles pommes de terre qu'on aurait oubliées dans une cave… J'ai dû me boucher le nez. Son odeur est encore là, sous la véranda. Elle tombe sur mon lit. C'est peut-être cela qui m'empêche de dormir. Il n'a rien trouvé au plafond pensant même que j'avais nettoyé (comme si je n'avais que ça à faire) mais je l'ai bien vu reluquer mes petites culottes qui séchaient. Ce type me dégoûte. Il y a un nom pour ça ?
Pour un type comme lui ?
Tu me sembles bien différent et c'est pour cela que je t'aime bien.
Bon… demain je travaille. Je vais essayer de me recoucher et de m'endormir sans penser à rien. J'ai ouvert la fenêtre. Il fait froid.
Dis-moi si je peux faire quelque chose pour toi.
Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?
Je t'embrasse tendrement.
Doll

vendredi 1 janvier 2016

Doll (lettre 16)

Très cher Johan, trois fois que je suis allée à la poste et trois fois j'ai trouvé la porte fermée. Je ne comprends pas. C'était bien les heures. Enfin je crois, même que j'y arrive 5 minutes avant la fermeture puisque je dois prendre le train, traverser le village. Tout ça pour rien. Quelle déception ! Est-ce que les postes ont le droit de fermer avant l'heure ou est-ce ma montre qui retarde ? Je n'en sais rien. J'ai voulu demandé au boulanger mais je n'ai pas osé alors je me suis contentée d'un pain au chocolat et d'une sorte de baguette avec du sucre dedans que j'ai mangés sur le chemin du retour et encore dans le train. Je suis vraiment déçue. Peut-être des lettres m'attendent-elles ? Du coup, je relis encore les tiennes, je les garde dans mon sac. Je les lis même au magasin où j'ai beaucup de travail. Je les lis dans la remise ou dans les toilettes. Ta troisième lettre est toute chiffonnée à force d'être lue.
Ne pas savoir comment tu vas m'inquiète, je pense à toi tout le temps et me demande où tu en es de ta collection de mots étranges… j'ai acheté un dictionnaire mais je m'aperçois que ça ne sert à rien puisque je ne connais pas les mots et que sans les connaître, je ne peux pas trouver leurs définitions. Si tu pouvais m'en donner quelques-uns dans une lettre, ce serait drôlement bien. Comme ça j'apprendrai.
Depuis 15 jours à peu près, peut-être plus, suis un peu perdue dans le temps, la ville est toute ralentie et pour cette fois, ce n'est pas par la neige mais par ce truc surprenant qu'on appelle le silence. Ce n'est pas calme mais silencieux comme si plus personne n'avait le courage de parler à haute voix, de chanter, de crier ! Il y a eu quelques tentatives par des groupes d'originaux (enfin, tu vois des gens amusants, déguisés…) mais ils ont été réprimandés comme des enfants qu'on envoie dans leur chambre pour qu'ils se calment. Ils étaient jeunes, enfin c'est qu'on a dit, mais moi j'ai aussi vu des vieux. C'est complètement ridicule. C'est ridicule, non ? ces gens qui grondent, qui donnent des giffles, qui arrêtent les autres et qui mettent en taule des gens qui n'ont rien fait…
As-tu vu des nouveaux arrivants là où tu es ?
Je me demande bien ce qu'on a fait des gens arrêtés.
C'est peut-être pour cela que la poste a fermé plus tôt mais quel serait le lien entre la poste et tout ça, et tout ça dans ce village où il n'y a rien rien que je peux voir ? Je prendrai mon courage à deux mains et je leur demanderai. La postière me le dira. Oui, elle me le dira. D'ailleurs, j'y vais tout à l'heure.
Johan, n'oublie pas de m'écrire STP. Tu me manques.
Doll.