lundi 25 janvier 2016

Doll (lettre 32)

Koch a téléphoné déjà deux fois. A la seconde fois j'ai répondu pour qu'il n'y ait pas de troisième. Cet petit événement résume bien ma vie sociale. Je n'ai pas envie de voir les gens, ni lui ni Pinocchio, ni ma mère ou mon frère (qui est d'ailleurs retourné en prison pour vol aggravé). Pour le moment, seul m'importe de dormir, de marcher dans la ville quand il fait nuit, d'aller à la poste et de m'arrêter boire un café quand j'en reviens. Lettre ou pas, je m'y arrête toujours. Les habitués commencent à me reconnaître et sont bien gentils avec moi. Hier, j'ai fait une partie de dames avec le plus vieux, barbe et pantalon toujours le même, en grosse toile bleue, chandail en mailles de laine épaisse. Il peluchait et quand je suis repartie, j'avais des poils sur moi ; enfin était-ce peut-être ceux du chat. Il y en a un qui traîne. Il s'appelle Moka. 
La prochaine fois, je jouerai aux fléchettes, j'ai promis. 
Ah Johan, comme j'aimerais que tu sois avec moi ! Ce village te plairait peut-être ou si pas, ce café du moins. Je suis certaine que ces gens t'aimeraient beaucoup. Ils sont plutôt accueillants… enfin au bout de 2 mois… oui, ouverts quand même après t'avoir bien regardé, après s'être tous  assurés qu'il n'y avait plus de questions à te poser… Passons. Tu me manques, c'est surtout ça. C'est une façon de te le dire. 
Le temps passe moins vite maintenant que je ne travaille plus. Dans quelques jours, je devrai retourner voir le médecin. J'ai envie de demander un délai supplémentaire. Je n'arrive plus du tout à m'imaginer dans cette boutique parmi les pieds qui puent. Dans la réserve ! Encore moins. Je ne sais plus trop à quoi ressemble mon patron. J'ai oublié. Ça me fait du bien. L'oubli. Ça pourrait m’inquiéter mais pas du tout, je trouve même cela plutôt joyeux. Et puis mes anciennes collègues… je fais des efforts pour que leurs visages me reviennent mais je n'y parviens pas. J'ai une photo d'elles. De parfaites inconnues. 
Mon propriétaire est encore passé. Il a voulu entrer dans l'appartement mais je n'ai fait qu’entrebâiller la porte. Qu'il me vire s'il veut ! Je trouverai bien un lit. Je n'ai plus envie de me laisser faire. Je change, je change. Peut-être pas en bon… 
Je crois Johan que tu m'apprends quelque chose. Je ne sais pas encore quoi mais je trouverai bien un jour. Je suis attachée à toi. J'espère seulement que cela n'affectera jamais ta liberté. 

Porte-toi bien cher ami. 

Je te salue avec toute la tendresse dont je suis en ce moment capable… 


Doll

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