dimanche 31 janvier 2016

Doll (lettre 44)

Des jours comme ça = l'alignement parfait des planètes, de l'ordre dans le chaos, de l'ordre naturel ou un chaos ordonné peut-être, l'ouverture d'un trou noir, une visibilité nouvelle, l'envie de vivre même avec tous ses démons, les transformer au gré de ses besoins, les faire exister tout en ayant un peu la maîtrise. Ou pas du tout. 

Des jours comme ça : 
une lettre de Johan
Charles absent 
la maison pour moi seule
ne pas être aller travailler, savoir que je n'irai jamais plus, ne pas avoir eu peur, répondre au téléphone quand le patron a appelé, ne pas fuir, fuir dans rien. 
Un coup de téléphone de Koch

Toi ! Merci. 
Ta lettre me touche. 
Il y a donc des cerbères ventripotents qui dérobent le feu ! Les salauds. Au moins un. 
Bien que n'ayant pas de copie de la 35, je… enfin on verra ; oui oui on verra, plus de plan maintenant. On verra. Suis embêtée pour le dessin. J'en ferai un autre, des autres, des tas d'autres avec des yeux et des bouches et des bras et des jambes articulés et même des arbres et des oiseaux, papillons et chrysalides, pélicans aux gorges pleines de poissons, nuées nuages, rivière et source, champs, brebis... tout ce qui me viendra en tête, Johan. On verra. Merci d'avoir écrit. Je t'enverrai le dessin que j'avais joint à la trentième, je crois avoir pris une photo au cas où… 

Pour moi, c'est assez difficile d'écrire ou de parler en ce moment : je reste bloquée sur des mots, des mots innocents ou que je n'avais jamais entendus vraiment parce que toujours dominés par un sens possible. Écoute ce mot,  « demeuré », je suis une demeurée, donc quelqu'un de stupide n'est-ce pas mais demeurée, n'est-ce pas plutôt  « être en soi, resté en soi-même? »… qu'y a-t-il donc de stupide, ici ? 
- Tu ris ?
- Oui, moi aussi !
Ça ne facilite pas la communication. Heureusement que Charles est bavard. Il fait moins attention à tout ça, parfois me reprend, me taquine. 
Voilà où j'en suis. 
...

Charles ou Henri, c'est pareil. Enfin, pareil non mais c'est la même personne. Henri c'est son autre prénom et au début quand il parlait de lui il disait Henri. Moi Charles, lui Henri comme s'il était deux, comme si je n'était pas il ou il pas je, comme si au passé il devenait Henri. J'aimais bien. Je ne suivais pas toujours, si je suivais c'était écouter l'histoire d'Henri, pas celle de Charles, l'histoire de quelqu'un que je ne connaissais pas, quelqu'un dont l'histoire n'envahissait pas la présence de Charles,  ce que je pouvais comprendre de lui, de ce Charles en face de moi. A y réfléchir un peu, c'est de la liberté. Quand on est vieux, n'est-ce pas une grande force que de se séparer d'une partie de ses propres aventures ?? 

Mes cheveux continuent de dégringoler. J'ai un petit rond vide au-dessus du crâne. Je sens le froid et quand je le caresse, c'est tout doux.
J'ai hâte de recevoir une autre lettre de toi, de voir Charles et de me promener avec Koch. 

Merci encore pour ta lettre, cher Johan. En refaisant ce qui te manque, on contournera Cerbère et on lui fera un formidable pied-de-nez ! 

Je t'embrasse bien fort, 


Doll

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