mardi 19 janvier 2016

Doll (lettre 21)

Je m’en veux. Je voulais t’écrire tous les jours mais je n’y arrive pas. Je n’ai aucune excuse. Aucune excuse. Je rêve.
Il y a de la soupe au potiron en train de cuire. J’ai complètement oublié la recette que normalement je connais par cœur. J’avais oublié par exemple que pour qu’elle soit meilleure je devais faire revenir les légumes dans du beurre avant d’ajouter le bouillon. Je préfère danser la cougnagna. Tu sais ce que c’est ? Non, tu ne sais pas, c’est une danse que j’ai inventée. Tu es assis, tu imagines une musique et tu bouges les bras. C’est bien pour s’étirer. Cougnagna, rien que le mot me fait rire. 
C’est dimanche. 
Hier, j’ai encore décidé de ne pas aller au travail. Mon patron sent bien qu’il se passe quelque chose dans ma vie. « J’ai changé », il me  dit. Il m’a bloquée dans la réserve pour parler mais je n’avais pas envie et il y avait bien trop de monde pour qu’il insiste. Vendredi, en quittant le magasin, j’ai encore dit que je me sentais pas bien et que j’avais rendez-vous avec le docteur. Pas de docteur, tu t’en doutes. J’ai pris le train pour le village. Quand je suis arrivée, il faisait déjà bien noir et les lampadaires ne fonctionnaient pas. Une sorte de coupure électrique gigantesque mais je ne voyais pas ce qui avait pu la déclencher. Il n’y avait pas eu de foudre, rien de tombé du ciel alors peut-être était-ce seulement un problème de câblage ou alors quelque chose sans explication précise… j’ai poussé une première porte, celle du café, il y avait quelques vieux qui buvaient du blanc à la lueur de bougies. Ils se sont retourné à mon arrivée, ont dit que je ne devais pas trainer là. Suis partie aussitôt alors que j’avais soif et que j’étais contente de croiser quelques têtes. J’ai pris le chemin de la Poste. La porte principale était entrebâillée, je l’ai poussée et là, j’ai vu la dame qui pleurait, à genoux.  La dame, la gentille, tu sais. Ce qui est bizarre, c’est que je n’ai pas eu envie ni d’aller vers elle, ni de l’aider à se relever, ni à lui demander ce qu’elle avait. J’avais juste envie de la regarder sans bouger pour VOIR ce qu’elle allait faire et combien de temps cela prendrait. Me suis alors cachée dans un recoin. J’ai attendu je ne sais pas combien de temps. Je regardais ses larmes, son corps qui s’affaissait et son buste qui devenait de plus en plus gros comme malmené par une drôle de force qui la faisait changer de forme. Je me disais qu’elle allait bien finir par s’arrêter, qu’elle retrouverait ses jambes et sa tête mais moi je n’avais vraiment pas envie d’aller vers elle. Pas envie du tout parce que je crois que je me disais mais je crois seulement, je ne m’en souviens plus que si elle mourrait là, il aura donc un poste à prendre et que ça pourrait être le mien, pouvant alors faire ce que tu me conseilles mais pas seulement à mi-temps. Malheureusement pour moi mais heureusement pour elle, un gamin est arrivé par une autre porte et l’a aidée. Je suis repartie. J’ai couru vers la gare. J’ai attendu que l’électricité revienne et puis suis montée dans le premier train. 
Pas de lettre. Le temps me fait penser à ce chewing-gum que je mâche. C’est infect à la longue.  
Je crois que je suis de mauvaise humeur trè-s cher Johan et que je ferai mieux de conclure ici. Je pense à toi et t'embrasse. 
N'oublie pas de m'écrire si tu le peux, ça me donnera des forces. 


Ta Doll

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